Étienne Perret, quand la RFID se passe d’électronique
Et si le code à barres disparaissait de nos articles de supermarché ? Chercheur en électronique radiofréquence à Grenoble INP, Étienne Perret travaille sur les technologies d’identification. Ses travaux portent depuis plusieurs années sur le développement de RFID sans composant électronique, communément appelée RFID sans puce. La technologie ainsi développée ambitionne d’offrir certaines des performances présentes en RFID classique, mais pour un coût proche de celui des codes à barres plus utilisés dans l’identification des objets. Cette recherche à haut-potentiel pour la traçabilité des produits vaut à Étienne Perret de recevoir le Prix Espoir IMT-Académie des sciences 2020.
Vos travaux portent sur les technologies d’identification : de quoi s’agit-il ?
Étienne Perret : La technologie d’identification la plus connue du grand public est le code à barres. Il est présent sur tous les objets que nous achetons. Lorsque nous passons à la caisse, nous comprenons bien que c’est ce code qui rentre en jeu dans l’identification des objets. Des études estiment que 70 % des produits manufacturés dans le monde ont un code à barres, c’est donc la technique d’identification la plus répandue. Mais ce n’est pas la seule : il y a des technologies moins connues comme la RFID [identification radiofréquence]. C’est celle qui équipe les tickets de bus sans contact, les forfaits de ski, les badges d’entrée dans les immeubles… Elle est un peu plus mystérieuse : ce qui se joue derrière est moins évident. Mais quelle que soit la technologie, la philosophie derrière est la même. Il s’agit d’identifier un objet à courte ou moyenne distance.
Quels sont les enjeux actuels autour de ces technologies d’identification ?
EP : Dans beaucoup de grandes sociétés, Amazon en tête, la traçabilité des objets est essentielle. Très souvent, elles veulent être en mesure de suivre un produit depuis les différentes étapes de fabrication jusqu’à son recyclage. Il faut donc que chaque produit puisse être identifié rapidement. Cependant les deux technologies actuelles dont je parlais ont chacune des avantages et des limites. Le code à barres est très bon marché, il peut être imprimé facilement, mais il ne stocke que très peu d’informations, et il faut très souvent une intervention humaine entre le lecteur et le code pour assurer une bonne lecture. De plus, le code à barres doit rester visible pour être lu, ce qui a un effet important sur l’intégrité du produit à tracer.
À l’inverse, la RFID fonctionne par des ondes radio qui traversent la matière, on peut donc identifier un objet déjà emballé dans un carton à plusieurs mètres de distance. Cependant, c’est une technologie coûteuse. Même si une étiquette RFID ne coûte que quelques centimes, elle est beaucoup plus chère qu’un code à barres. Pour une entreprise qui doit étiqueter des millions de produits dans une année, la différence est importante — a fortiori lorsqu’il s’agit d’étiqueter des petits objets qui valent eux-mêmes quelques centimes.
Dans ce contexte-là, quel est l’objet de vos recherches ?
EP : J’essaie de proposer une solution intermédiaire à ces deux technologies. Au cœur de l’étiquette RFID se trouve une puce, à l’image d’un microprocesseur, qui stocke l’information. Dans une démarche économique et environnementale, l’idée que je poursuis avec mes collègues de Grenoble INP est de s’affranchir de cette puce. L’autre atout que nous souhaitons garder est la facilité d’impression du code à barres. Pour y parvenir, nous nous appuyons sur une approche originale combinant des encres conductrices et la géométrie des étiquettes.
Comment fonctionne cette approche ?
EP : L’idée est que chaque étiquette comporte une forme géométrique unique, imprimée avec une encre conductrice. Cette forme permet à l’étiquette de réfléchir des ondes radiofréquences d’une manière particulière. Ensuite, c’est un peu une approche radar : un émetteur envoie une onde, celle-ci est réfléchie par son environnement, et l’étiquette renvoie dans ce signal une signature typique indiquant sa présence. Grâce à une étape de post-traitement, nous pouvons récupérer cette signature contenant de l’information sur l’objet.
Pourquoi cette technologie de RFID sans puce est-elle si prometteuse ?
EP : Économiquement, la solution serait beaucoup plus avantageuse qu’une puce RFID, et pourrait rivaliser avec les coûts d’un code à barres. Mais par rapport à ce dernier, nous avons deux gros avantages. D’abord, cette technologie peut lire à travers la matière, comme la RFID. Ensuite, la lecture de l’étiquette est plus simple à réaliser. Lorsque vous passez en caisse de supermarché, le produit doit être orienté dans une certaine direction pour que le code soit en face du lecteur laser. C’est aussi l’un des problèmes du code à barres : il faut souvent un opérateur humain pour procéder à l’identification — il est possible de s’en affranchir, mais au prix de systèmes automatisés très chers. Toutefois, la technologie RFID sans puce n’est pas parfaite, et il faut concéder certaines limitations comme la distance de lecture, qui n’est pas la même que pour la RFID classique — cette dernière peut atteindre plusieurs mètres en utilisant des ondes ultra haute-fréquence.
L’un des autres avantages de la RFID est sa reprogrammation : il est possible de changer l’information contenue dans une étiquette RFID. Est-ce envisageable avec la technologie de RFID sans puce que vous mettez au point ?
EP : C’est un des projets de recherche en cours en effet. Dans le cadre de l’ERC ScattererID, nous cherchons à développer le concept d’étiquettes sans puce réinscriptibles. La difficulté est évidemment que nous ne pouvons pas avoir de composants électroniques reportés sur l’étiquette. Nous nous basons donc sur la technologie CBRAM (conductive-bridging RAM), utilisée pour des mémoires un peu particulières. Elle fonctionne par un empilement de trois couches : métal-diélectrique-métal. Il faut imaginer une étiquette imprimée avec localement ce type d’empilement. En imposant une tension dans le motif imprimé, il est possible de modifier les propriétés, et de changer ainsi l’information contenue dans l’étiquette.
Ces recherches sur la technologie de RFID sans puce ont-elles d’autres applications que la traçabilité et l’identification des produits ?
EP : Un autre axe de recherche que nous poursuivons actuellement consiste à utiliser ces étiquettes sans puce comme des capteurs. Nous avons montré que nous pouvions remonter des informations sur des grandeurs physiques telles que la température, ou encore l’humidité. Pour la température, le principe repose sur la possibilité de mesurer la dilatation thermique des matériaux qui composent l’étiquette. Le matériau se « dilate » de quelques dizaines de microns. La signature radiofréquence de l’étiquette est modifiée, et nous pouvons détecter ces très fines variations. Dans un autre domaine, ce niveau de précision que l’on a par lien radio, à savoir sans fil, va permettre de localiser l’étiquette et de détecter ses mouvements dans l’espace. Sur ce principe, la reconnaissance de gestes est en cours d’étude pour permettre de communiquer avec le lecteur à travers le déplacement de l’étiquette.
Le transfert de cette technologie vers l’industrie semble inévitable : où en êtes-vous sur ce point ?
EP : Un projet récent avec un industriel a débouché sur la création de la start-up Idyllic Technology. Celle-ci vise à commercialiser la technologie de RFID sans puce auprès des acteurs industriels. Nous pensons pouvoir commencer à présenter concrètement nos innovations auprès des entreprises dans le courant de l’année prochaine. Actuellement, il est encore difficile pour nous de dire où cette technologie trouvera sa place. Il y a toute une dimension économique qui entre en jeu, et qui sera décisive dans l’adoption. Ce que je peux dire, c’est que j’imagine bien cette solution s’imposer là où le code à barres est inutilisé en raison de ses limitations, et où en même temps la RFID est trop coûteuse. Il y a une place dans cet entre-deux, mais il est encore trop tôt pour dire laquelle.
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