Simulation et jeux sérieux : des outils d’apprentissage à la gestion de crise
Pour préparer les élus, les collectivités et les citoyens à réagir face à une situation de crise, les simulations immersives et les jeux sérieux s’avèrent particulièrement intéressants. Ces dispositifs sont justement exploités par IMT Mines Alès et Mines Saint-Étienne pour préparer les populations au pire.
Dans une salle froide d’IMT Mines Alès, des sirènes hurlent. Les agents du service public local de l’eau se sont réunis ce matin en urgence pour constituer une cellule de crise. Une catastrophe industrielle a engendré la pollution du fleuve duquel provient l’eau potable de la commune. Les décisionnaires de la cellule sont submergés d’appels de journalistes et d’associations. En même temps, des tweets de plusieurs médias locaux envahissent les ordinateurs de la cellule tandis que des extraits de journaux télévisés s’enchaînent sur le mur d’écrans de la salle. Les agents planifient des actions mais la communication entre eux s’avère parfois difficile. Des tensions se font ressentir. Trois heures après le début de la gestion de l’évènement, la cellule de crise est dissoute. Les participants sortent de la salle : c’est l’heure du débriefing, la simulation est terminée.
« L’immersion sensorielle est un moyen efficace pour réaliser des exercices de gestion de crise », témoigne Florian Tena-Chollet, chercheur en simulation de crise à IMT Mines Alès. La simulation qui vient de se dérouler fait partie de Simulcrise, une plateforme destinée à simuler des gestions de crises dans des situations aussi crédibles que possible. C’est « une plateforme de recherche, d’enseignement et de formation pour les étudiants et les chercheurs issus de l’IMT et d’universités comme celles de Montpellier, Avignon ou Nîmes », précise le chercheur. La plateforme s’adresse également aux professionnels. En juin dernier, le Centre de documentation, de recherche et d’expérimentations sur les pollutions accidentelles des eaux a participé à une simulation sur la pollution des eaux.
Une simulation type commence par « une mise en ambiance qui débute généralement quelques heures ou quelques jours au préalable », indique Florian Tena-Chollet. « Les participants ne sont pas encore sur place et commencent à recevoir des bulletins météo avec le jour et l’heure. Le jour J commence par un briefing où nous rappelons le rôle des participants, l’organisation qu’ils incarnent et s’il s’agit de leur propre organisation ou d’une autre », ajoute le chercheur. Le jour J, les animateurs donnent les informations qui marquent le début de la crise. Dans le cas d’un épisode de pollution des eaux, ce peut-être un signalement de la mairie qui a reçu des appels de riverains ayant constaté plusieurs poissons morts dans le fleuve de la commune. À partir de ce moment, les participants constituent la cellule de crise dans la salle de simulation.
La technologie au service de l’immersion en environnement réel
La plateforme Simulcrise est un complexe de quatre salles*. « Deux salles sont dédiées aux apprenants tandis qu’une salle centrale est dédiée aux animateurs de l’exercice qui lancent les stimuli et jouent les rôles des parties prenantes du monde extérieur », décrit Philippe Bouillet, ingénieur en informatique à IMT Mines Alès. Enfin, une salle technique sert à la gestion des ordinateurs, des écrans et des hauts parleurs.
Ces hauts parleurs, répandus sur le plafond, permettent de simuler des sons de l’environnement. Ce peut être des bruits d’averses dans un scénario d’inondation ou des sons de sirènes pour mimer le passage des pompiers ou des ambulances. Les salles disposent même d’une climatisation réversible qui permet d’ajuster la température en fonction du scénario. S’il se déroule à La Réunion, la température peut ainsi être réglée pour reproduire les conditions climatiques de l’île.
De plus, IMT Mines Alès a développé une simulation de l’interface de twitter : Twitter-Like. L’intérêt de celle-ci est que tous les tweets générés par les animateurs circulent sur le réseau de Simulcrise au lieu de circuler sur internet. « Nous faisons parfois appel à des professionnels, par exemple des journalistes, qui vont jouer leur propre rôle dans la simulation » explique Philippe Bouillet. Pour mettre les participants dans la situation la plus crédible possible, un des objectifs de recherche est de « transposer les outils et les méthodes de Simulcrise dans les vrais locaux des cellules de crises des organisations », indique Florian Tena-Chollet. « Sur les nouveaux scénarios, nous mettons en œuvre un système multi-agents, une technologie d’intelligence artificielle, pour rendre nos simulations encore plus réalistes », précise le scientifique.
Par ailleurs, les chercheurs vont, durant la simulation, « observer les incompréhensions, les quiproquos, la naissance de conflits et noter si des points de situation sont organisés régulièrement dans l’équipe », explique Florian Tena-Chollet. Cachés derrière une vitre teintée dans une salle adjacente, ou placés dans la salle des participants, les chercheurs observent les interactions interpersonnelles et la façon dont les informations se propagent au sein de l’équipe. Une fois la simulation terminée, les chercheurs réalisent un débriefing avec les participants. Ce moment est l’occasion d’ancrer les bonnes pratiques existantes et de définir des perspectives d’amélioration dans leur façon de gérer une crise.
Gestion de crise et jeu de plateau
A Mines Saint-Étienne, un autre dispositif de simulation a été développé : Cit’In-Crise**, un jeu pédagogique destiné à sensibiliser le grand public, les scolaires de cycle 3 et les élus, à la gestion de crise en cas d’inondations. « Pour les élus, il s’agit d’un outil opérationnel pour appréhender le plan communal de sauvegarde, c’est à dire l’organisation que la commune va mettre en place pour faire face à des accidents industriels ou naturels majeurs », indique Éric Piatyszek, chercheur sur la résilience territoriale à Mines Saint-Étienne.
Une partie de Cit’in Crise dure près de deux heures et nécessite entre 7 et 13 joueurs. Pendant 45 minutes, les deux animateurs de la partie vont « présenter la commune dans laquelle va se dérouler la gestion de crise, présenter la chronologie des évènements et expliquer le rôle de chaque joueur », explique Eric Piatyszek. Les animateurs explicitent également les règles du jeu et la façon d’utiliser le matériel.
Les joueurs sont répartis en deux équipes, chacune disposée dans une salle. Une équipe va former la cellule de crise et une autre formera une équipe dite « histoire ». Les joueurs de la cellule de crise vont incarner des personnages comme le maire et « les principaux responsables qui vont devoir prendre des décisions pour sauvegarder et protéger la commune », indique Éric Piatyszek. Les joueurs de l’autre équipe vont incarner des personnages extérieurs à la cellule de crise. Il peut s’agir du préfet ou de riverains. Dans chaque équipe se trouve un animateur qui suit le déroulé de la partie.
Le jeu comprend des plateaux, des cartes et des jetons pour rendre la simulation ludique. Des équipements permettent de générer des flash radio, des bulletins météo, ou des sirènes de pompier et de police. L’outil twitter-like présent dans Simulcrise est également utilisé ici. Le jeu comprend des talkie-walkies et des téléphones pour que les deux équipes, disposées chacune dans une salle, puissent communiquer entre elles. Une carte interactive numérique permet aux joueurs de suivre les actions réalisées pour gérer la crise.
Un jeu mobile et adaptable
Depuis 2020, des sessions Cit’In Crise ont été animées plus d’une centaine de fois parmi lesquelles figurent une dizaine d’animations auprès d’une centaine d’élus. Une des raisons du succès du jeu est l’adaptabilité des scénarios. « Au départ, le jeu concernait uniquement le Rhône mais nous l’avons décliné sur la Gironde », pointe Eric Piatyszek. « Les problématiques d’inondations ne sont pas les mêmes : pour le Rhône (le fleuve) il s’agit de crues fluviales lentes tandis que pour la Gironde il s’agit de crues fluvio- maritimes qui peuvent, en fonction du vent par exemple, être à l’origine d’une inondation », poursuit-il. Le scénario pourra être adapté à d’autres contextes géographiques selon les demandes.
Le ludisme est l’un des aspects les plus notables de Cit’in Crise et Simulcrise. Les jeux de rôle dans lesquels les joueurs sont soumis à des stimuli sensoriels semblent être un bon moyen d’apprentissage. Pour Eric Piatyszek, le jeu qu’il a conçu parait efficace. Il compte désormais mener une enquête auprès des élus passés par Cit’in crise pour savoir « si le jeu leur a permis de mettre en place de nouvelles actions de gestion de crise ou si le jeu a fait changer leur perception de la gestion de crise », exprime le chercheur. Là réside un des enjeux de ces recherches : elles doivent avant tout permettre d’aider les acteurs de la gestion de crise et le citoyen à mieux faire face aux catastrophes, qu’elles soient naturelles ou non.
Rémy Fauvel
*Les 4 salles de Simulcrise font partie de l’Institut des Sciences des Risques (ISR) Robert Casso, bâtiment cofinancé par l’Europe (FEDER), la Région Languedoc-Roussillon et le Fonds d’Industrialisation du Bassin Alésien
**Cit’In Crise a été co-développé entre 2017 et 2020 par l’UMR CNRS 5600 EVS de Mines Saint-Étienne, IMT Mines Alès, La Rotonde et Les petits débrouillards. Le projet a été soutenu par la région Occitanie, les fonds FEDER européens et le département du Vaucluse.
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