Quèsaco la souveraineté numérique ?

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Souveraineté numérique

La souveraineté est un concept historiquement lié à l’idée de territoire physique. Le monde numérique est pour sa part profondément dématérialisé, virtuel. Que signifie alors la notion de souveraineté numérique ? Elle regroupe la puissance économique des plateformes en ligne, les technologies numériques, et les régulations basées sur des valeurs nouvelles de société. Francis Jutand, directeur général adjoint de l’IMT et membre du conseil scientifique de l’institut de la souveraineté numérique, nous présente sa vision sur les bases de ce concept.

 

Que signifie « être souverain » ?

Francis Jutand : La notion de souveraineté peut s’appliquer aux personnes, aux entreprises, ou aux nations. Être souverain, c’est être en capacité de choisir. Pour cela, il faut pouvoir à la fois comprendre et agir. La souveraineté repose donc sur de multiples paramètres permettant l’action : la maîtrise technologique, l’autonomie — et donc le pouvoir — économique et financier, et la capacité d’influer sur les mécanismes de régulation. À ces trois conditions s’ajoute la sécurité, dans le sens où être souverain consiste aussi à être dans un espace où l’on peut se prémunir des actions d’autrui si elles sont hostiles. Enfin, la compétence des citoyens et de la multitude à faire entendre leurs voix constitue un cinquième paramètre de souveraineté pour des grandes régions géographiques, comme des nations ou des espaces économiques.

Comment se décline cette notion de souveraineté dans le cas du numérique ?

FJ : Les cinq composantes de la capacité à agir se transposent tout naturellement dans ce domaine. Être souverain dans un monde numérique, c’est disposer de technologies qui nous sont propres, être indépendant face à des acteurs économiques majeurs du secteur comme Google et leurs énormes capacité financières. C’est aussi élaborer des régulations dédiées au numérique, et pouvoir se protéger des cyberattaques. En ce qui concerne la multitude, la souveraineté consiste à former les citoyens à comprendre le numérique et à l’utiliser de façon avertie. Selon ces critères, trois grands champs de souveraineté se dessinent autour de trois régions géographiques : les États-Unis, l’Europe, et la Chine.

Qu’est ce qui fait la spécificité de ces champs de souveraineté ?

FJ : Le champ américain s’appuie sur des acteurs économiques surpuissants et sur une politique nationale en matière de sécurité et de technologies très forte opérée par les agences gouvernementales. En revanche, l’état de leur régulation sur le domaine numérique est relativement faible. La Chine s’appuie quant à elle sur un état omniprésent, très régulateur et investisseur. Le retard scientifique et industriel qu’avait la Chine dans ce domaine il y a encore quelques années a été rattrapé depuis. Enfin, l’Europe dispose de bonnes compétences technologiques à la fois industrielles et académiques, sans pour autant être en position de leader. Le champ de souveraineté européen a pour lui une forte puissance de marché et une régulation pionnière autour de certaines valeurs, comme la protection des données personnelles. Son plus gros point faible est un manque de leadership économique qui se traduirait par l’existence d’acteurs mondiaux du numérique.

Par quoi le concept de souveraineté est-il incarné concrètement en Europe ?

FJ : L’Europe et les pays membres investissent déjà à bon niveau dans le domaine du numérique, au travers des programmes européens du PCRD, des programmes nationaux, et des chercheurs académiques permanents. En revanche, le faible nombre d’entreprises de taille mondiale dans ce domaine affaiblit le potentiel de recherche et les collaborations fructueuses entre les mondes académique et industriel. Le Comité européen à la protection des données, qui réunit les Cnil de chaque état de l’Union européenne, est une autre illustration des efforts de souveraineté dans le champ européen. Cependant, du point de vue des régulations concernant le droit à la concurrence et la régulation financière, l’Europe reste en retard sur le développement de règles, et timide dans leur interprétation. Cela la rend vulnérable face aux lobbys, comme l’ont montré les débats sur la directive européenne encadrant les droits d’auteur.

En quoi la notion de souveraineté numérique touche-t-elle le citoyen ?

FJ : Les citoyens sont des consommateurs et des utilisateurs de services du monde numérique. Ils jouent un rôle majeur dans ce domaine, dans la mesure où la plupart de leurs activités génèrent des données personnelles. Celles-ci sont un moteur de l’économie numérique qui, rappelons-le, est un des cinq piliers de la souveraineté. Ces données, qui touchent directement à l’identité des utilisateurs, sont également encadrées par des régulations. L’expression des citoyens est donc très importante dans la constitution d’un champ de souveraineté.

Pourquoi le monde académique est-il concerné par cette question de souveraineté numérique ?

FJ : Les chercheurs, qu’ils soient de l’IMT ou d’autres institutions, ont des éclairages à apporter sur la souveraineté numérique. Ils sont aux premières loges du développement de nouvelles technologies ­­et de leur maîtrise ­— là encore, une des conditions de la souveraineté. Ils forment les étudiants, et ils travaillent avec les entreprises pour la diffusion de ces technologies. L’IMT et ses écoles sont actifs dans tous ces domaines. Nous avons donc aussi un rôle à jouer, notamment en s’appuyant sur notre neutralité pour éclairer nos parlementaires. Nous avons expérimenté dans ce sens avec un premier évènement à destination des députés et sénateurs sur le thème de la souveraineté technologiques et réglementaire. Nos chercheurs y ont abordé les impacts potentiels de la technologie, sur les citoyens, les entreprises, et l’économie en général.

 

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