Nucléaire : les enjeux de la sous-traitance

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Depuis la fin du XXe siècle, le phénomène de sous-traitance s’est amplifié en France. Un phénomène qui n’épargne pas des secteurs stratégiques comme le nucléaire. Stéphanie Tillement, chercheuse en sociologie à IMT Atlantique, a travaillé sur le rapport entre la sécurité et la sous-traitance dans l’industrie nucléaire.

« Depuis les années 1970, nous observons une augmentation de l’externalisation dans de très nombreux secteurs industriels, notamment pour les activités de maintenance », déclare Stéphanie Tillement, chercheuse en sociologie à IMT Atlantique. Dans l’ouvrage intitulé Contracting and Safety, elle propose avec des chercheuses et chercheurs français et internationaux une analyse nuancée et sans a priori du recours à la sous-traitance. Le livre aborde notamment le cas du nucléaire. « Nous avons voulu montrer la diversité des relations entre exploitants du nucléaire et sous-traitants, et des rapports entre sous-traitance et sûreté », témoigne Stéphanie Tillement.

« Contrairement à l’idée répandue, le terme ‘sous-traitance’ ne renvoie pas à une réalité homogène : les situations de sous-traitance varient par exemple selon la taille de l’entreprise prestataire, ou la durée de la présence du personnel prestataire sur l’installation », poursuit la chercheuse. Au-delà du cas des « nomades du nucléaire », auxquels on associe souvent la sous-traitance dans le nucléaire, certains personnels sous-traitants travaillent depuis des années voire des décennies sur le même site et pour le même donneur d’ordre. Si les premiers interviennent de façon ponctuelle, au gré des arrêts de tranche, conduisant certains à dénoncer des formes de précarité du travail, il n’en va pas de même pour l’ensemble des prestataires externes. Ainsi, les conditions de travail, tout comme les formes de socialisation entre donneur d’ordre et prestataire, varient grandement selon les types de sous-traitance considérés.

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Professions à risques

La sous-traitance dans le nucléaire et ses effets sur la sûreté et la sécurité des installations comme des travailleurs, ont fait l’objet d’une attention accrue du monde politique (voir la Commission  parlementaire dite « Pompili » en 2018) comme du monde académique. La directrice de recherche honoraire du groupement d’intérêt scientifique sur les cancers d’origine professionnelle de l’Inserm, Annie Thébaud-Mony,a montré que « sur les sites nucléaires français, les employés des entreprises sous-traitantes étaient exposés à 80 % de la dose de rayonnement ionisant collective pendant les activités de maintenance », détaille Stéphanie Tillement. En d’autres termes, les salariés sous-traitants sont plus exposés que d’autres aux rayonnements ionisants. 

Cela s’explique davantage par la nature des tâches externalisées, souvent dangereuses car nécessitant des interventions dans des zones à risques, que par la nature de la protection ou du suivi des salariés sous-traitants.  Par ailleurs, l’exploitant d’une installation nucléaire de base — par exemple un réacteur nucléaire ou une usine de traitement des déchets radioactifs — est juridiquement responsable de la sûreté de son installation, dans le cadre de la loi dite du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire. Cela s’applique aux activités sous-traitées. En cas d’incident ou d’accident, c’est l’exploitant qui reste responsable.

Une des questions majeures posées par le recours à la sous-traitance est celle de la surveillance des activités effectuées par les prestataires externes. Pour s’assurer que les tâches sont réalisées dans le respect des exigences de sûreté, l’exploitant est tenu de mettre en place une surveillance des salariés sous-traitants. Une réelle surveillance par le donneur d’ordre suppose que celui-ci ait conservé la maîtrise technique industrielle des activités externalisées, mais aussi que les moyens nécessaires (en ressources humaines, en temps) soient affectés à cette surveillance. « Un enjeu majeur vis-à-vis de la surveillance réside dans les compétences de celui ou celle qui surveille : en cas de non maîtrise technique, le risque est que la surveillance se limite à des vérifications formelles et ne prenne pas en compte la réalité de l’activité », indique la sociologue. Dans le cadre de la sous-traitance de spécialité, cette problématique est d’autant plus prégnante que l’exploitant fait appel à des salariés sous-traitants possédant des compétences spécifiques qu’il ne détient pas en interne. 

Des rapports pluriels

Dans le secteur nucléaire, les soudeurs sont un exemple emblématique de compétences spécifiques à la fois rares et très recherchées et dont le rôle est fondamental pour maintenir la sécurité des matériels. Leur travail nécessite un haut niveau d’expertise. Dans le cas de la sous-traitance de spécialité, les rapports de force peuvent ainsi être en faveur du prestataire, l’exploitant étant dépendant du sous-traitant. Ce dernier peut alors négocier des contrats plus favorables (avec une moindre pression sur les coûts et délais par exemple).

« La sous-traitance pose le problème plus général de la fragmentation du travail et des organisations, qui s’accompagne d’une plus grande complexité liée aux multiples interfaces et interdépendances à gérer », souligne Stéphanie Tillement. « Souvent, on observe que les entreprises qui font le choix d’externaliser une partie de leurs activités envisagent principalement le gain à court terme », remarque-t-elle. « Ce faisant, elles omettent toute une série de coûts cachés sur le long-terme, concernant notamment la nécessité pour le donneur d’ordre de se réorganiser en interne pour permettre une coordination et une surveillance sur le long terme », poursuit la scientifique. Ces réorganisations peuvent être coûteuses et nécessiter des apprentissages substantiels pour garantir la sûreté et la sécurité des travailleurs sur le temps long.

Rémy Fauvel

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