Gérer les déchets électroniques : un problème global

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[box type= »info » align= » » class= » » width= » »]L’Institut Mines-Télécom et la Fondation Mines-Télécom publient leur 12e cahier de veille annuel intitulé Numérique : Enjeux industriels et impératifs écologiques. En associant témoignages d’entreprises et de chercheurs spécialistes du domaine, cet ouvrage dresse un portrait des problématiques posées à l’intersection entre les transitions numérique et environnementale. En guise d’aperçu, I’MTech publie l’un des articles composant ce cahier de veille 2020. [/box]

 

La responsabilité autour des déchets issus du numérique est multiple. D’un côté, il incombe aux états de renforcer les contrôles aux frontières pour mieux gérer les flux de déchets et éviter leur transfert dans des pays en développement. De l’autre, les producteurs d’appareils électroniques doivent assumer leur position en facilitant la gestion de leurs produits en fin de vie. Quant au consommateur, il doit prendre conscience des conséquences « invisibles » de ses usages, car externalisées dans d’autres pays.

 

Pour comprendre comment sont gérés les déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE), il faut se tourner vers la Convention de Bâle de 1989. Ce traité multilatéral était initialement prévu pour gérer les mouvements transfrontières de déchets dangereux, auxquels les DEEE ont été rattachés a posteriori. « La Convention de Bâle a été traduite en accords régionaux et en législations nationales par un grand nombre de pays qui, pour certains d’entre eux, interdisent l’exportation ou l’importation de DEEE » précise Stéphanie Reiche de Vigan, enseignante-chercheuse en droit du développement durable et des nouvelles technologies à Mines ParisTech. « Tel est le cas du règlement de l’UE sur les transferts de déchets qui interdit l’exportation de DEEE vers des pays tiers. » Néanmoins, le projet européen de recherche EFFACE, dédié au combat contre le crime environnemental, estimait en 2015 qu’environ 2 millions de DEEE quittaient illégalement l’Europe chaque année. Comment autant de déchets électroniques peuvent-ils traverser les frontières de manière clandestine ? « Un manque de collaboration internationale entrave les efforts visant à détecter, enquêter et poursuivre les crimes environnementaux liés au trafic de déchets électroniques » pointe la chercheuse. Ainsi, même si un accord international dédié aux DEEE venait à voir le jour, celui-ci n’aurait que peu d’impact sans volonté réelle des pays producteurs de ces déchets de limiter leur transfert.

À cela s’ajoute que le trafic de déchets électroniques est pris entre deux volontés des gouvernements : celle de punir les crimes environnementaux et celle de promouvoir le commerce international afin de récupérer des parts de marché liées au transport maritime international. Dans un souci de compétitivité, la Convention de Londres de 1965 visant à faciliter le trafic maritime international a permis un meilleur transfert des navires, des marchandises et des passagers vers les ports. «En résulte une simplification des procédures douanières pour favoriser un passage compétitif dans les ports et des distorsions de concurrence entre ports de pays développés dans la mise en oeuvre a minima de la réglementation relative aux transferts transfrontaliers de déchets électroniques et en particulier du contrôle par les autorités douanières et portuaires » souligne Stéphanie Reiche de Vigan. L’Union européenne a fait le constat que les entreprises d’exportation et d’importation des DEEE avaient tendance à utiliser les ports où l’application de la loi était la plus faible, et donc la moins efficace.

Alors comment couper l’engrenage de ce trafic international ? « Il est indispensable que l’Organisation maritime internationale se saisisse du sujet afin de favoriser un partage des meilleures pratiques, et d’unifier les procédures de contrôle » répond l’enseignante-chercheuse. Il en est de la responsabilité des États de renforcer leurs contrôles au niveau des ports pour limiter cette criminalité. Et pour les aider dans cette tâche, la technologie pourrait être un atout majeur. « La mise en place et l’utilisation obligatoire par les ports de la visualisation par scanner à rayons-X du contenu des conteneurs pourrait permettre de réduire le problème » insiste Stéphanie Reiche-de Vigan. À l’heure actuelle, seulement 2 % de tous les conteneurs maritimes du monde sont physiquement inspectés par les autorités douanières.

Quelles responsabilités pour les entreprises du numérique ?

La chaîne du numérique est compartimentée en maillons distincts : l’extraction minière, la fabrication, la commercialisation et le recyclage. Les différentes étapes de vie d’un appareil électronique sont donc isolées et déconnectées les unes des autres. Ainsi, les producteurs ne sont qu’incités à collaborer avec la filière du recyclage. « Tant que les producteurs des équipements électriques et électroniques n’auront aucune obligation de limiter leur production, d’amortir le coût du recyclage, ou d’améliorer la recyclabilité de leurs produits, alors les flux de déchets électroniques ne pourront être gérés », insiste Stéphanie Reiche-de Vigan. Y remédier consisterait notamment à reconnecter les maillons de la chaîne dans une analyse du cycle de vie des équipements électriques et électroniques et redéfinir la responsabilité des entreprises.

Repenser la responsabilité des entreprises imposerait de faire pression sur les géants du numérique, mais les pays développés semblent en être incapables. Pourtant, c’est bien sur les États que se reportent les coûts associés au tri et au recyclage. Jusqu’à présent, cette prise de conscience ne suffit pas à mettre en place des actions concrètes qui s’avèrent être davantage des recommandations. Des Conseils nationaux du numérique en Allemagne et en France ont établi des feuilles de route afin de penser un numérique sobre. Ils proposent des pistes de réglementations futures telles que le rallongement de la durée de vie des appareils. Toutefois, la solution n’est pas simple, car un appareil qui dure deux fois plus longtemps signifie deux fois moins de production pour l’industriel. « Investir dans quelques entreprises de plus chargées de reconditionner les appareils et allonger la durée de vie n’est pas suffisant. On est encore loin d’avoir des propositions viables pour l’environnement et l’économie », insiste Fabrice Flipo, philosophe des sciences à Institut Mines-Télécom Business School.

À lire sur I’MTech : Mieux responsabiliser les producteurs en matière d’écoconception

Par ailleurs, les pays ne sont pas les seuls à se confronter à la puissance des grandes entreprises du numérique. « À partir de 2007 chez Orange, nous avons tenté de mettre en place un système d’affichage environnemental afin d’inciter les clients à acheter les téléphones ayant le moins d’impact », révèle Samuli Vaija, expert chargé des questions liées à l’analyse du cycle de vie des produits chez Orange. En amont, cette démarche incitait les fabricants à intégrer le respect de l’environnement dans leurs gammes de produits. Au moment d’être présentée à l’Union internationale des télécommunications, la démarche d’Orange se retrouve rapidement étouffée par l’opposition américaine (Apple, Intel) qui ne souhaite pas afficher la notion d’empreinte carbone sur ses appareils.

Reste encore la société civile et notamment les ONG pour enclencher une volonté politique. Le frein majeur : la population des pays développés n’a pas, ou peu conscience des impacts environnementaux causés par sa consommation excessive des outils du numérique, car elle ne les subit pas directement. « On oublie trop souvent qu’il y a aussi des violations des droits de l’homme derrière les outils numériques sur lesquelles nos sociétés occidentales reposent, depuis l’extraction des ressources nécessaires à la fabrication des équipements, jusqu’au transfert des déchets qu’ils engendrent au bout de quelques années seulement. Du premier maillon au dernier, ce sont principalement les populations des pays en développement qui subissent les impacts de la consommation des populations des pays développés. Les effets sanitaires ne sont pas visibles en Europe, car ils sont externalisés » constate Stéphanie Reiche-de Vigan. Au cœur des pays riches, le numérique serait-il enfermé dans une bulle informationnelle ne contenant que la somme de ses aspects bénéfiques ? L’importance donnée aux technologies du numérique ne devrait pas se faire au détriment de ses aspects négatifs.

En ce sens, « il en est aussi de la responsabilité des universités, des écoles d’ingénieurs et des écoles de commerce de former les étudiants dès le premier cycle aux enjeux  environnementaux tout en intégrant l’analyse du cycle de vie avec la prise en considération des impacts environnementaux et humains à leurs programmes » rappelle Stéphanie Reiche-de Vigan. Former sur ces thématiques, c’est surtout apporter ces profils aux entreprises qui concevront les outils de demain et aux administrations censées les encadrer.

 

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