Un coussin qui ne brûle pas pollue-t-il notre intérieur ?
Des additifs chimiques appelés aussi retardateurs de flamme permettent à notre mobilier de ne pas brûler trop vite en cas d’incendie. Mais ces molécules polluent-elles l’air de nos logements ou bureaux ? Pour répondre à cette question, un projet de recherche ANSES-ADEME auquel est associé IMT Mines Alès, a débuté en 2019. Dans un laboratoire test reproduisant à l’échelle réelle les conditions d’une pièce, les chercheurs mettent en place une nouvelle méthodologie d’étude des polluants du mobilier.
Alors que nous sommes tous confinés chez nous, la question de la pollution de l’air intérieur prend de l’ampleur. Nous savons en général que les produits d’entretien ou la combustion d’une bougie polluent notre intérieur, et qu’il est important d’aérer nos espaces, pour renouveler l’air. Mais les matériaux, dont nos meubles et autres éléments de décoration, contiennent aussi des substances qui peuvent avoir un impact sur la qualité de l’air intérieur et la santé…
Pour limiter la propagation des flammes en cas d’incendie, certains additifs sont ainsi ajoutés aux meubles rembourrés, par exemple aux mousses dans les sièges et la literie. Jusque dans les années 2000, ce rôle était assuré par des composés bromés, les PBDE (PolyBromoDiphényl- Ethers). Jugés trop toxiques, les PBDE ont été interdits en 2005 en Europe et dans de nombreux pays, et remplacés par de nouvelles substances, comme les composés organophosphorés.
Pour évaluer les risques d’exposition à ces nouvelles substances, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) finance avec l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) un projet de recherche auquel participent Valérie Desauziers et Hervé Plaisance, chercheurs en qualité de l’air intérieur à IMT Mines Alès. Leur objectif est d’évaluer la capacité de transfert de ces composés organophosphorés du meuble rembourré vers l’air.
Un salon ou un laboratoire ?
Les chercheurs travaillent dans un environnement réel afin d’étudier les différentes possibilités de migration des molécules. Des sièges contenant des retardateurs de flamme, spécifiquement fabriqués pour le projet, ont été installés dans deux bureaux identiques non-occupés afin de reproduire un environnement intérieur. Dans l’un des bureaux, les sièges ont subi préalablement un vieillissement accéléré pour évaluer l’impact sur le long terme de l’émission de ces matériaux. Autrement, tout est similaire : « La température, l’humidité de l’air et le taux de renouvellement de l’air sont mesurés tout au long de l’essai » indique Valérie Desauziers. « Nous ne sommes jamais dans un environnement complètement clos et étanche, il faut le prendre en compte dans notre étude pour qu’elle soit la plus proche possible des conditions réelles d’exposition ».
Les composés organophosphorés étudiés sont particuliers, ce sont des substances semi-volatiles. « Plus la volatilité des composés diminue, plus nous rencontrons des problèmes analytiques, notamment d’échantillonnage » indique Hervé Plaisance. Ces composés semi-volatils se partagent entre l’air et les surfaces intérieures, « c’est une répartition assez complexe dans l’environnement intérieur entre fractions gazeuse et particulaire » ajoute-t-il. Pour évaluer le comportement de ces polluants dans une pièce et le risque d’exposition, il n’est donc pas suffisant d’étudier uniquement leur concentration dans l’air.
Pour tenir compte de ces propriétés, les chercheurs ont donc développé une méthodologie de prélèvement originale. Ils utilisent une petite cellule cylindrique en verre qui est simplement posée sur le matériau à caractériser. Une fibre constituée d’un matériau absorbant est ensuite introduite au sein de cette cellule et piège les molécules émises par le matériau. La fibre est ensuite analysée en laboratoire. « Cette technique permet de déterminer la concentration des polluants à l’interface du matériau et de l’air, et donc de caractériser les matériaux sources de polluants mais aussi les dépôts de ces polluants sur les autres surfaces présentes dans une pièce » indique Valérie Desauziers.
Durant les neuf mois d’étude sur site, des mesures de concentrations des retardateurs de flamme sont réalisées périodiquement dans l’air, à la surface du matériau émetteur, du sol, des murs, du plafond et de la baie vitrée. Cela dans le but de comprendre le comportement de ces molécules semi-volatiles.
Choisir les matériaux les moins polluants
La méthodologie de prélèvement et d’analyse développée est intéressante pour identifier les sources de polluants dans un environnement intérieur. « Elle peut aussi aider au choix et au développement de matériaux moins émetteurs » ajoute la chercheuse. « En mesurant les concentrations dans l’air et au niveau des surfaces, nous pouvons réaliser un bilan massique qui permettra de mieux comprendre la dynamique de transfert de ces molécules et leur répartition dans les environnements intérieurs » complète Hervé Plaisance. À terme, le but est de pouvoir modéliser ces phénomènes, en intégrant les paramètres tels que le renouvellement de l’air, le dépôt des molécules sur les surfaces, et l’émission de la source.
« Concernant le projet en cours, il est trop tôt pour donner des résultats précis sur les quantités de retardateurs de flamme émises par les meubles rembourrés étudiés, mais nous avons d’ores et déjà mis en évidence qu’il y a un transfert vers l’air » signalent les deux chercheurs. Il y a alors une possibilité d’exposition par inhalation, mais le risque n’est pas encore évalué. Pour ce type de molécules, cette étude sur le terrain en conditions réelles est une première. Pour la suite, il faudra poursuivre les travaux en associant des compétences dans le domaine du risque sanitaire pour évaluer l’impact sur la santé de ces polluants émergents.
Tiphaine Claveau pour I’MTech
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