Technologies digitales : les trois grandes familles de risques encourus

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Lamiae Benhayoun, Institut Mines-Télécom Business School et Imed Boughzala, Institut Mines-Télécom Business School

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[dropcap]P[/dropcap]our répondre à un environnement technologiquement bouleversé, les entreprises adhèrent de plus en plus à une transformation digitale ou digitalisation, pour laquelle les dépenses atteindront deux trillions de dollars en 2022.

La digitalisation reflète une restructuration profonde et intentionnelle par les entreprises de leurs capacités, ressources et voies de création de valeur pour bénéficier des avantages offerts par les technologies digitales. Elle a été induite par l’avènement des technologies SMAC (social, mobile, analytics, cloud) et continue de s’intensifier avec l’émergence des technologies DARQ (distributed ledger, artificial intelligence, extended reality, quantum calculation) qui font migrer les entreprises vers une ère post digital.

DARQ New Emerging Technologies (Accenture, février 2019).

 

L’usage de ces technologies représente des avantages indéniables pour les entreprises, en leur permettant d’améliorer l’expérience utilisateur, de rationaliser leurs processus opérationnels, voire de révolutionner leurs business models. Aujourd’hui, être digital-first est même une condition minimale pour survivre dans un marché en constante mutation.

Toutefois, l’adoption de ces technologies digitales arbore des risques qu’il faut manager pour favoriser le succès de la transformation digitale. Dans ce sens, le département TIM (technologies, information et management) d’Institut Mines-Télécom Business School mène un ensemble de recherches autour de la transformation digitale, qui ont permis d’identifier trois classes de risques liés à l’utilisation des technologies digitales.

Cette caractérisation des risques s’appuie sur une revue critique des travaux de recherche abordant cette thématique au cours de la dernière décennie et sur les retours de plusieurs professionnels de la transformation digitale dans des secteurs avec différentes intensités technologiques.

Risques liés à la gouvernance des données

Les technologies digitales mobiles et réseaux sociaux favorisent la génération de données à l’insu de l’individu. La collecte, le partage et l’analyse de ces données constituent un risque pour l’entreprise surtout lorsqu’il s’agit de données médicales, financières ou autres données sensibles. Dans ce sens, une entreprise opérant dans le domaine du bâtiment utilise des drones pour inspecter les façades des édifices.

Les drones au service du BTP (Bouygues Construction, février 2015).

 

Elle a souligné que ces objets connectés peuvent être intrusifs pour les citoyens et présenter des risques de non-conformité en termes de protection des données pour l’entreprise. Aussi, notre exploration du secteur de la santé a mis en évidence que cette problématique de confidentialité peut même entraver la collaboration entre les fournisseurs de soins et les développeurs de technologies spécialisées.

Par ailleurs, le problème de débordement par les données en cas de mauvaise gestion des canaux de génération et des flux de diffusion est très présent surtout dans le domaine de la banque-assurance. Une multinationale leader dans le secteur a souligné que la technologie cloud peut être utile pour piloter ce cycle d’exploitation des données, mais qu’en même temps elle soulève des défis de souveraineté des données.

Risques liés aux relations avec des parties tierces

Le digital ouvre à d’autres parties prenantes (client, fournisseur, partenaire, etc.), et donc à plus de risques en termes de gestion de ces relations. Dans ce sens, une entreprise en logistique maritime a mentionné que l’usage de la technologie blockchain pour établir des smart contracts a entraîné beaucoup de formalité et de rigidité dans ses relations client-fournisseur.

Aussi, les technologies de réseaux sociaux doivent être utilisées avec précaution, car elles peuvent induire des problématiques de surexposition et de manque de notoriété. Ce fut le cas d’une entreprise opérant dans le domaine d’agroalimentaire, qui a dû faire face à une diffusion virale sur les réseaux sociaux de mauvaises recommandations par les clients. En outre, un praticien dans le domaine de la mode a souligné que les technologies mobiles présentent des risques pour établir une relation client efficace, car il est difficile pour l’entreprise de se démarquer face aux applications mobiles et sites d’e-commerce qui peuvent même rendre le client confus et sceptique.

Enfin, plusieurs entreprises rencontrées opérant en télécommunications et dans le secteur de la banque-assurance sont de plus en plus conscientes des risques liés à l’avènement de la technologie blockchain pour leurs business models et pour leurs rôles dans l’ensemble du paysage socio-économique.

Risques liés au pilotage des technologies digitales

La nature récente des technologies digitales met en difficulté la plupart des entreprises. La direction des systèmes d’information (DSI) doit rapidement maîtriser ces technologies pour répondre aux exigences instantanées des métiers, faute de quoi elle devra faire face à des problèmes de shadow IT (systèmes mis en œuvre sans approbation de la DSI), ce qui a été déjà vécu par une institution académique que nous avons étudiée. En effet, plusieurs départements ont déployé des solutions facilement accessibles pour subvenir à leurs besoins de transformation, ce qui a résulté en un souci de gouvernance de l’infrastructure technologique.

Cette maîtrise rapide des technologies digitales n’est pas toujours évidente, surtout que le développement de compétences digitales peut être rallongé en cas de pénurie d’experts, comme c’était le cas d’une entreprise opérant dans le secteur logistique. Ce développement de compétences implique des investissements conséquents en termes de temps, d’efforts et de coûts, qui peuvent rapidement être vains en raison de l’évolutivité et l’obsolescence fréquente des technologies digitales. Ce risque est hautement présent dans le secteur militaire, où les technologies digitales sont conçues sur mesure et doivent garantir un minimum de durabilité pour amortir leurs coûts de développement, mais aussi dans le secteur agricole qui est caractérisé par une forte vulnérabilité des objets connectés utilisés.

Par ailleurs, certains problèmes de pilotage sont associés à des technologies digitales en particulier. Nous avons identifié le risque très récurrent de perte d’actifs en cas de recours à un fournisseur cloud, et le risque d’innovation peu responsable suite à l’adoption par une firme dans le secteur de la banque-assurance d’une technologie d’intelligence artificielle. Finalement, de nombreux praticiens ont mis en évidence les risques potentiels de mimétisme et de surdimensionnement qui sont susceptibles d’émerger avec l’avènement imminent des technologies quantiques.

L’ordinateur quantique, la prochaine révolution informatique ? (France 3, 30 janvier 2020).

 

Ces trois classes de risques mettent ainsi en évidence des problématiques liées à certaines technologies digitales en particulier, mais aussi des défis induits par la nature interconnectée de ces technologies et leur usage simultané. Il est primordial de sensibiliser les praticiens envers ces risques à anticiper pour tirer profit de leurs investissements en transformation digitale. La transformation va justement au-delà de la pensée fonctionnelle et aborde les opportunités mais aussi les risques associés au changement.

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Lamiae Benhayoun, Professeure assistant à l’Institut Mines Telecom Business School (IMT BS), Institut Mines-Télécom Business School et Imed Boughzala, Doyen de la Faculté et Professeur, Institut Mines-Télécom Business School

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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