Comment renforcer l’autonomie des salariés ?
Tribune initialement publiée dans The Conversation.
Par Thierry Weil et Anne-Sophie Dubey, Mines ParisTech.
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[dropcap]D[/dropcap]es entreprises toujours plus nombreuses souhaitent aujourd’hui favoriser la montée en autonomie et la participation des salariés. En effet, ces derniers aspirent à plus d’autonomie qu’ils n’en trouvent dans la plupart des entreprises dans lesquelles ils travaillent. Pire, la situation – déjà moins bonne en France que dans les pays voisins – se détériore, comme nous l’avons montré dans un article récemment publié dans de The Conversation.
En effet, « changer l’état d’esprit » est loin d’être un long fleuve tranquille et la littérature sur les nouvelles formes d’organisation, et notamment sur les « entreprises libérées », accorde une attention très limitée au « comment faire ? » : comment introduire et pérenniser l’autonomie ? Quelles sont les difficultés rencontrées et comment les surmonter ? Comment s’adapter au contexte et à l’histoire spécifiques de chaque organisation ?
Pour apporter des éléments de réponse à ces questions, la Chaire Futurs de l’industrie et du travail de Mines ParisTech a mené une enquête approfondie dans une dizaine d’organisations très diverses (entreprises familiales, filiales de groupes, coopératives, administrations, etc.).
Nous avons analysé la multiplicité des pratiques pour identifier quelques points de vigilance pour les dirigeants qui souhaitent lancer une démarche de montée en autonomie de leurs collaborateurs.
Le voyage plus important que la destination
Nos observations nous conduisent d’abord à affirmer que la montée en autonomie nécessite une préparation et une organisation. Il n’y a pas d’auto-organisation spontanée qui découlerait de quelques conditions simples, telles que le « lâcher prise » du dirigeant, l’écoute des salariés ou le partage actif de la vision du dirigeant avec les collaborateurs, bien que ces points aient évidemment toute leur importance.
Dans tous les cas, la transformation des modes de fonctionnement nécessite une très forte mobilisation et un accompagnement intensif. Difficile de planifier la transformation en détail, car l’objectif peut être en partie indéterminé et de nombreuses difficultés apparaîtront chemin faisant. Le processus pour atteindre cet horizon flou doit tolérer la turbulence, le tâtonnement, l’itération, et le temps nécessaire à l’appropriation du changement.
Un consultant intervenu au cours de la transformation de Lippi – entreprise familiale d’environ 180 salariés, spécialisée dans les clôtures – raconte ainsi que les dirigeants « ne pouvaient pas prédire ce qui allait se passer, car eux-mêmes ne savaient pas où ils allaient », même si Frédéric Lippi, le PDG, souligne qu’il était confiant dans le fait que des choses intéressantes allaient émerger. Le voyage est, en quelque sorte, plus important que la destination. On pourrait même aller jusqu’à dire que c’est le type de voyage qui crée la destination. C’est pourquoi l’utilité des modèles « clés en main » se révèle souvent assez limitée.
Expliciter les règles
Les champs de l’autonomie concernent en effet le plus souvent la manière de réaliser la tâche, mais aussi et surtout la construction de l’environnement organisationnel (les règles du « comment »). Dans l’écrasante majorité des cas que nous avons étudiés – à l’exception des SCOP –, l’autonomie et la participation ne portent ni sur le « quoi » (objectifs et stratégie de l’entreprise), ni sur la gouvernance, ni sur la personne du dirigeant.
Le « pourquoi » (valeurs ou raison d’être de l’entreprise) est en revanche de plus en plus ouvert à la concertation. Mais cet exercice, apprécié des salariés soucieux du sens de leur travail, n’a pas toujours de conséquences directes sur les conditions d’exercice de celui-ci.
Les attributs de l’autonomie relèvent du pouvoir de décider sans demander la permission, pour autant que les valeurs et les règles qui gouvernent l’entreprise aient été correctement intégrées par les collaborateurs. Le livret d’accueil d’une des filiales de Fabernovel, entreprise internationale de création de produits et de services numériques, indique par exemple : « chaque membre est libre d’accomplir ses missions comme il le souhaite dans le respect de nos valeurs ».
Le salarié sera donc d’autant plus autonome que ces règles et valeurs auront été explicitées, et celles-ci seront d’autant mieux acceptées qu’il aura contribué à les construire (droit de participer à la construction de la prescription). Comme le précise un salarié de Lippi : « on est libre de faire à notre manière, mais pas de faire ce qu’on veut ».
Chacun dispose donc d’un domaine de décision et d’initiative, limité par l’impact que ses décisions peuvent avoir sur le travail des autres et sur l’efficacité de l’organisation (primat du collectif sur l’individu) – limites qui se révèlent cependant assez floues.
Tâtonnements
L’expression « droit à l’erreur », souvent utilisée, suppose surtout la construction d’un environnement bienveillant dans lequel les conséquences éventuellement fâcheuses d’une initiative (« droit à l’initiative ») ne seront pas sanctionnées, sous peine de voir les salariés s’autocensurer.
Une salariée de Lippi se souvient, par exemple, d’une gestionnaire de la flotte téléphonie « qui s’était laissée convaincre par l’argumentaire d’un opérateur et avait changé de contrat pour l’ensemble de l’entreprise, ce qui entraînait un surcoût de 30 %. Au lieu de la sanctionner, nous avons lancé un contentieux contre l’opérateur. C’était inutile de la punir car, quand on a fait une fois une erreur de ce genre, on ne la refait plus pour le reste de sa vie ».
La qualité d’une transformation se mesure aussi au traitement qui sera réservé aux « objecteurs », c’est-à-dire à ceux qui ne souhaitent pas accéder à davantage d’autonomie pour diverses raisons (« droit de retrait », ou au moins écoute respectueuse de leurs réticences). L’appétence des salariés pour l’autonomie est variable et encourager l’autonomie ne revient pas à contraindre toutes les équipes à devenir autonomes en même temps.
En somme, la plupart des organisations tâtonnent pour adapter à leur manière les outils de gestion afin de susciter ou d’ancrer de nouvelles modalités de travail, avec quelques récurrences. Une souplesse se développe dans l’organisation des temps de présence et du télétravail, les plannings d’astreinte sont élaborés au niveau des équipes, le contrôle hiérarchique diminue au profit d’un contrôle par les procédures et par les pairs, de nombreuses dépenses peuvent être engagées sans autorisation préalable, des initiatives commerciales peuvent être déléguées à la base, les réunions suivent un formalisme encourageant l’expression des plus inhibés ou des moins gradés.
Les équipes ont plus de latitude pour recruter, l’évaluation fait la part belle au retour des pairs (360°). La mobilité horizontale est encouragée, qui permet d’accroître la polyvalence et les compétences des personnes sans progression hiérarchique, plus difficile dans une structure aplatie. La formation est largement proposée, y compris dans des domaines éloignés de la tâche exercée, comme les techniques de facilitation ou le développement personnel.
Reste à savoir maintenant comment les entreprises peuvent construire collectivement un projet partagé. Un sujet qui fera l’objet de notre prochain article sur The Conversation France.
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Marie-Laure Cahier a contribué à la rédaction de cet article. Elisabeth Bourguinat, Laurence Decréau, Charles de Lastic Saint-Jal et Dimitri Pleplé ont participé à l’étude, dont on pourra trouver un résumé plus détaillé dans la « Gazette de la Société et des Techniques ».
Thierry Weil, Chaire Futurs de l’industrie et du travail (CERNA, I3, CNRS), Membre de l’Académie des technologies, Mines ParisTech et Anne-Sophie Dubey, Doctorante en sciences de gestion , Mines ParisTech
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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