Un « nez électronique » qui analyse l’haleine pour l’aide au diagnostic de pathologies

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Une équipe de chercheurs d’IMT Lille Douai, en collaboration avec IMT Atlantique, a mis au point un dispositif capable de mesurer la concentration d’ammoniac dans l’haleine. Le but de ce nez artificiel : exploiter cet indicateur pour assurer un suivi personnalisé des patients atteints d’insuffisance rénale chronique. À terme, cette stratégie pourrait même permettre de détecter la maladie chez des personnes non diagnostiquées.

[box type= »shadow » align= » » class= » » width= » »]Cet article fait partie de notre dossier Quand l’ingénierie se met au service de la santé. [/box]

Dans le corps humain, les reins ont pour rôle primordial d’évacuer les toxines transportées par le sang. Quand survient une maladie rénale chronique, cette fonction de filtration n’est plus assurée de façon optimale par les organes. En France, cela concernerait environ 5,7 millions de personnes. À partir d’un certain niveau de dysfonctionnement, on parle d’insuffisance rénale chronique, qui peut aller jusqu’à une phase terminale, où les reins ne parviennent plus du tout à filtrer le sang (environ 76 000 cas en France).

Dans ce cas, le patient est soit en attente de greffe, soit confronté à un traitement lourd, affectant grandement son quotidien. L’idéal est donc de pouvoir détecter suffisamment tôt cette maladie silencieuse et progressive, afin d’en ralentir les effets. Aujourd’hui, cette détection est principalement réalisée à l’aide de tests sanguins ou urinaires. Mais pour faciliter le diagnostic, une autre piste est explorée : celle de l’analyse d’haleine. L’étude des composants présents dans l’air expiré peut en effet fournir des renseignements précieux quant à l’état de santé d’une personne.

Un élément clé : l’ammoniac

Afin de favoriser le recours à cette méthode, deux équipes de chercheurs d’IMT Lille Douai et IMT Atlantique, en collaboration avec le service de néphrologie du CHRU de Lille, travaillent depuis trois ans sur un dispositif compact et clé en main pour les médecins. Il s’agit d’un « nez électronique », c’est-à-dire un système constitué de plusieurs capteurs capables de mesurer la concentration spécifique d’un composant dans l’haleine.

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En l’occurrence, l’élément scruté ici est l’ammoniac. Principalement produit par les bactéries intestinales, il est censé être éliminé par l’activité rénale. De précédentes études ont ainsi permis d’établir un seuil de concentration d’ammoniac à partir duquel les médecins peuvent véritablement soupçonner la présence d’une insuffisance rénale chronique.

L’ammoniac fait de la résistance

Mais comment effectuer une telle mesure, via un appareil portable ? Les scientifiques ont eu recours à une série de capteurs qui réagissent à la présence d’ammoniac, comme nous l’explique Caroline Duc, chercheuse à IMT Lille Douai, et membre de l’équipe : « Les capteurs sont constitués de deux électrodes sur lesquelles est déposée une surface sensible, qui voit sa résistance varier en fonction de la quantité d’ammoniac ». Dans les faits, cette capacité à s’opposer au passage du courant électrique augmente avec la présence du gaz et revient à son état initial lorsque l’ammoniac disparaît. C’est donc cette relation qui permet de quantifier la molécule dans l’haleine.

Par ailleurs, chaque capteur du nez artificiel possède une formulation spécifique. En effet, comme le souligne Caroline Duc, « il est très compliqué d’avoir un matériau dont la résistance va varier en fonction d’un seul type de gaz ». D’où l’idée d’associer plusieurs capteurs différents, dont les réponses à l’ammoniac varient, afin d’augmenter la précision de l’analyse.

Dans le cadre des tests réalisés, le nez électronique a été mis en contact de manière cyclique avec une haleine, entraînant une augmentation de la résistance en présence d’ammoniac, puis une décroissance quand les capteurs n’étaient plus exposés à l’air exhalé. Plusieurs paramètres ont alors été mesurés et analysés à l’aide d’algorithmes de traitement statistique.

Ces derniers s’appuient sur des outils comme le machine learning, à la différence qu’ils étaient ici appliqués sur de petits volumes de données. Il était ainsi question de recourir à l’apprentissage supervisé afin de classer les haleines. Autrement dit : les algorithmes ont été entraînés sur un jeu de données déjà identifiées comme appartenant à un individu sain, malade ou « incertain ». Puis de nouveaux profils leur ont été soumis, afin qu’ils les classent dans l’une de ces trois catégories.

Haleine : une composition complexe

Aujourd’hui, le premier prototype mis au point fait environ 15 cm de long et renferme entre 10 et 13 capteurs. Il a fait l’objet de tests en laboratoire, à partir d’une haleine artificielle, qui ont permis de valider qu’il était en mesure de distinguer les individus malades des individus sains, selon les critères définis par la littérature scientifique actuelle. Puis des expérimentations ont été menées en clinique, auprès de patients atteints d’insuffisance rénale chronique. L’idée était de mesurer la concentration en ammoniac de leur haleine, avant et après dialyse. Les résultats ont alors mis en évidence la diminution de cette quantité à l’issue de l’opération d’épuration.

Mais ils ont aussi permis d’illustrer les limites d’un marqueur unique. Avant dialyse, certains patients malades présentaient en effet des taux d’ammoniac semblables à des individus sains. La seule mesure de l’ammoniac ne suffisait pas à un diagnostic fiable quant à la présence ou non d’une insuffisance rénale chronique. Une nouvelle thèse a donc été initiée, pour identifier de nouveaux biomarqueurs caractéristiques de cette maladie.

De façon plus générale, cela traduit la difficulté de réaliser une analyse pertinente de l’haleine, celle-ci pouvant comprendre aussi bien des composants endogènes que des gaz exogènes. « Selon moi, l’analyse d’haleine en clinique va, dans un premier temps, se développer plutôt pour du suivi personnalisé de patient que pour du diagnostic », affirme Caroline Duc. L’idée serait, par exemple, de surveiller l’efficacité d’un traitement et de l’ajuster, en contrôlant l’évolution de la quantité d’ammoniac chez un patient, en réponse à la médication.

À l’avenir, pour le suivi d’autres maladies ?

Les chercheurs d’IMT Lille Douai vont poursuivre leurs travaux, afin d’optimiser leur nez électronique. En effet, aujourd’hui, l’haleine des patients est prélevée via un sac hermétique, pour être ensuite analysée en laboratoire. L’idée serait donc d’aboutir à un prototype fonctionnel et totalement autonome, pour des résultats en temps réel, ce qui soulève de multiples questions (étude des fluides, contrôle de la vitesse de l’air expiré…). De plus, pour approfondir l’analyse, Caroline Duc et ses collègues ont entamé une collaboration avec des chercheurs de Télécom SudParis spécialistes du traitement des données.

Enfin, l’équipe est impliquée dans un projet à l’échelle européenne, poursuivant deux objectifs : d’une part, mettre en avant des biomarqueurs caractéristiques du cancer du poumon, et d’autre part, concevoir un système de multi-capteurs spécifiques à ces biomarqueurs. C’est particulièrement sur ce deuxième volet qu’IMT Lille Douai apporte ses compétences.

Le nez électronique capable de détecter des maladies, telles que l’insuffisance rénale chronique, en est donc encore à ses premiers pas, et nécessitera un travail de longue haleine avant de pouvoir être véritablement utilisé par les médecins et leurs patients. Mais d’ici quelques années, il pourrait constituer une innovation médicale à couper le souffle !

 

Article rédigé par Bastien Contreras, pour I’MTech.

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