Quand les plantes nous aident à lutter contre la pollution
Pour dépolluer ou stabiliser une pollution dans les sols ou les eaux, les plantes sont une solution assez efficace et peu coûteuse. Elles nécessitent une mise en œuvre au cas par cas, et pourraient être déployées sur de nombreux sites.
Selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), 300 000 à 400 000 sites industriels ou miniers seraient potentiellement pollués en France, totalisant environ 100 000 hectares, l’équivalent de 140 000 terrains de football. Nombre d’entre eux sont « orphelins », sans propriétaire connu.
Comment les dépolluer ? La solution la plus radicale consiste à enlever la terre polluée et à la stocker dans une décharge adaptée. C’est aussi un des pires choix, car c’est extrêmement coûteux, et surtout peu écologique : il faut quelques milliers d’années pour qu’un sol se constitue ! Cette solution est donc réservée aux cas où on a absolument besoin du terrain, et où le sol pollué représente un risque important pour la santé. Par exemple si l’on veut construire une école. Dans tous les autres cas, une approche plus douce est privilégiée. Les chercheurs de Mines Saint-Etienne développent ainsi des méthodes de dépollution des métaux « lourds » (essentiellement plomb, cadmium, cobalt, nickel, zinc, cuivre, chrome et arsenic) à l’aide de plantes — on parle de phytoremédiation.
Il existe deux grandes techniques pour traiter un sol pollué par phytoremédiation. La phytoextraction consiste à cultiver des espèces de plantes capables d’accumuler de grandes quantités de métaux lourds, et de très bien le supporter. Il suffit alors de faucher périodiquement ces plantes, et d’incinérer ce qui est coupé dans des incinérateurs spécialisés, pour extraire petit à petit ces métaux. Cependant, cette dépollution est lente, entre 10 et 100 ans pour une décontamination totale.
L’autre technique est la phytostabilisation, une démarche adoptée par les chercheurs de Saint-Étienne : plutôt que d’enlever les métaux, faisons en sorte qu’ils ne soient plus dangereux. Il s’agit donc de stabiliser les polluants sur place. « Un polluant est dangereux lorsqu’il se déplace, rappelle Olivier Faure, chercheur à Mines Saint-Étienne. C’est le cas lorsqu’il migre vers une nappe phréatique, lorsque des animaux broutent l’herbe qui contient ce polluant, ou encore en cas d’érosion mécanique. Mais un polluant bien « fixé » n’a pas d’impact sur le vivant. » Chaque site pollué étant unique, le choix de la méthode se fait au cas par cas, après avoir analysé les risques qui dépendent du type de polluant, de sa faculté à être mobile, et de la nature du terrain : argileux ou sableux, acide ou basique, plus ou moins riche en matière organique… La phytostabilisation est essentiellement utilisée sur les sites de grande taille non habités.
Fixer la pollution consiste à faire pousser des plantes qui accumulent le moins possible les polluants, tout en étant capables d’y résister. C’est donc le contraire de la phytoextraction. Ces plantes empêchent l’érosion par les vents et les précipitations, absorbent une partie de l’eau qui n’ira donc pas vers la nappe phréatique. De plus, leur système racinaire modifie les propriétés du sol, en stimulant les micro-organismes, et en modifiant la forme chimique des polluants, ce qui les rend moins mobiles. « Ces plantes restaurent la vie des sols, même si on ne comprend pas encore tous les mécanismes », observe Olivier Faure. Les chercheurs combinent des graminées comme le gazon, qui couvrent rapidement le sol, et des légumineuses comme la luzerne, qui fixent l’azote de l’air et enrichissent le sol. Ils ajoutent parfois d’autres espèces pour enrichir la biodiversité, par exemple les astéracées comme les pissenlits qui attirent les insectes pollinisateurs.
Ces techniques de phytostabilisation ont été testées pour réhabiliter des crassiers métallurgiques, ces amoncèlements de déchets de l’industrie métallurgique riches en métaux. « Ces crassiers sont très inhospitaliers pour les plantes, car ils contiennent très peu de matière organique ou d’azote, et drainent l’eau, décrit le chercheur. En partenariat avec Arcelor Mittal, nous avons développé un procédé de revégétalisation applicable à ce type de crassiers dans le cadre d’un programme ANR baptisé Physafimm. Pour aider les espèces à s’implanter, nous restimulons le développement du sol en apportant des ‘matériaux d’intérêt agronomique issus du traitement des eaux’. Ce sont des boues de stations d’épuration compostées avec des déchets verts. Nous atteignons un taux de recouvrement végétal de 100 %. »
Dépolluer l’eau avec des marais flottants
Les sols pollués ne sont pas les seuls à pouvoir bénéficier du secours des plantes. Les eaux aussi sont parfois chargées d’hydrocarbures, de matières en suspension ou de métaux. C’est le cas par exemple des bassins de rétention des eaux de pluie à proximité des autoroutes. La solution sur laquelle travaillent les chercheurs d’IMT Atlantique est simple : installer des matelas flottants dans lesquels ils incorporent des plantes (dénommé couramment « Marais Flottants »). Les racines se développent dans le matelas fibreux et atteignent l’eau, où elles forment un véritable réseau. Leur rôle est multiple : elles agissent comme un filtre physique pour les polluants particulaires, et servent de support pour le développement de bactéries qui dégradent ou retiennent les indésirables.
Karine Borne, aujourd’hui chercheuse à IMT Atlantique, a testé cette solution à l’université d’Auckland en Nouvelle-Zélande, avec une plante appelée Carex virgata. « Par rapport à un bassin de contrôle sans plantes, nous avons observé une réduction supplémentaire de 40 % des matières en suspension, et de bons résultats sur le cuivre et le zinc, indique-t-elle. Ces résultats sont totalement transposables en France, notamment en Bretagne où le climat est similaire. » Cette réduction, certes partielle, de la pollution, permet souvent de rester sous les valeurs limites européennes caractérisant un bon état de qualité de l’eau .
L’entretien de ce système est aisé. On peut couper les parties aériennes des plantes une fois par an pour qu’elles soient plus vigoureuses. Les racines meurent, se détachent et sédimentent, ainsi que les polluants, dans le bassin, si bien qu’il faut le curer un peu plus fréquemment. Les sédiments sont analysés, et selon leur niveau de toxicité, valorisés ou mis en décharge selon la législation.
Outre la dépollution des eaux pluviales, cette technique peut être utilisée en traitement tertiaire dans des stations d’épuration d’industriels ou domestiques, après les traitements classiques. C’est important notamment en été, lorsque les rivières ont des débits faibles, et sont donc vulnérables à la moindre pollution. Les industriels doivent alors attendre l’automne pour rejeter ces eaux, ce qui les oblige à construire d’énormes lagunes de stockage. La solution par les plantes est bien plus facile à mettre en œuvre, avec très peu de génie civil.
Qu’il s’agisse des sols ou des eaux, les plantes sont donc de précieuses alliées pour lutter contre les pollutions. Reste à présent à passer à l’échelle industrielle. Dans le cas des sols, « nous sommes dans une période charnière entre la R&D et les premières applications commercialisées, présente Olivier Faure. L’Ademe encourage ces approches, avec de nombreux appels à projet, mais il reste quelques freins administratifs ou réglementaires. La validation appartient aux Directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL), qui sont pour l’instant frileuses mais devraient rapidement évoluer. »
Pour sa part, Karine Borne a démarré en janvier, avec ses collègues du Département Systèmes Energétiques et Environnement et en collaboration avec la société SVITEC, des recherches dans le cadre du projet ANR FloWAT. Le but est de tester la technique de dépollution des eaux en traitement tertiaire pour l’industrie agroalimentaire (abattoir et volailles). Le chemin est donc encore long avant que ces techniques ne prennent une vraie ampleur industrielle à la mesure des enjeux.
Cet article a été écrit par Cécile Michaut, pour I’MTech.
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