C2Net : la chaîne logistique sur un petit nuage
Une solution cloud pour améliorer la chaîne logistique : c’est le principe sur lequel repose le projet européen C2Net. Lancé le 1er janvier 2015, il s’est achevé le 31 décembre 2017. Le projet a notamment démontré comment une plateforme cloud peut permettre à différents acteurs d’une même chaîne logistique de mieux anticiper ou gérer les problèmes à venir. Pour cela, C2Net a capitalisé sur des recherches en interopérabilité et sur l’automatisation d’alertes à partir des données directement tirées des entreprises de la chaîne logistique. Jacques Lamothe et Frédérick Benaben, chercheurs en génie industriel, respectivement sur les sujets de la logistique et des systèmes d’information, reviennent sur leurs travaux menés à IMT Mines Albi dans le cadre de C2Net.
Quel était l’objectif du projet C2Net ?
Jacques Lamothe : L’idée de base était d’apporter des outils cloud aux PME pour faire de la planification avancée sur la chaîne logistique. Il s’agit d’identifier à l’avance les problèmes à venir concernant la gestion du stock des entreprises. Pour cela, il nous a fallu travailler sur trois parties : la récupération des données au sein des PME, la génération d’alertes sur les soucis à régler, et le suivi de planification pour voir si tout se déroule comme prévu. Ce n’était pas évident parce que nous avons dû répondre à des questions d’interopérabilité — c’est-à-dire d’échange de données entre les systèmes informatiques des entreprises. Et nous avons aussi dû comprendre les règles métiers des acteurs de la chaîne logistique pour évaluer les alertes pertinentes.
Pour donner un exemple, quel type de problème peut se poser à une entreprise ?
Frédérick Benaben : Ce qui peut arriver, c’est qu’un fournisseur ne soit en capacité de produire que 20 000 pièces d’un article alors que la PME en attend 25 000. La chaîne logistique est tendue, donc il va falloir trouver des solutions, comme répercuter ce changement en demandant à d’autres fournisseurs dans d’autres pays s’ils peuvent produire plus. C’est un peu un écosystème, et lorsqu’il y a un problème à un endroit, ce sont tous les acteurs du réseau logistique qui sont impactés.
Jacques Lamothe : En fait ce dont nous nous sommes rendu compte c’est que certaines entreprises ont souvent de très bons outils d’évaluation de la demande d’un côté, et d’autres ont de très bons outils de mesure de la production d’un autre côté. Par contre, elles ont du mal à faire dialoguer ces deux parties. Dans la chaîne, la production ne sait pas forcément voir quand la demande baisse ou inversement. C’est une des choses que le démonstrateur de C2Net a permis de corriger sur les cas d’usage que nous avons mis en place avec les entreprises.
Justement, quelles étaient les attentes des entreprises envers ce projet ?
Jacques Lamothe : Dans C2Net, chaque partenaire académique a amené un partenaire industriel avec lequel il avait déjà travaillé. Et chacune de ces PME avait des problématiques différentes. En France, c’est Pierre Fabre qui s’est impliquée dans le projet avec nous. Ils étaient très intéressés par la captation de données et la génération des alertes. Côté espagnol, ce n’était pas tant ça que l’optimisation des planifications. Chaque entreprise a ses problématiques et les cas d’usage que les industriels nous ont apportés impliquaient que nous trouvions des solutions pour tout le monde : de la génération de données sur leurs chaînes logistiques à la création d’outils leur permettant de gérer les alertes ou les planifications.
À quel point votre travail de recherche a-t-il impacté les structures des entreprises, leur façon de s’organiser ?
Frédérick Benaben : Ce qui était malin dans le projet c’est que nous n’avons pas proposé le démonstrateur C2Net comme une plateforme cloud qui viendrait à la place de ce qui existait déjà dans les entreprises. Tout ce que nous avons fait se situe un niveau au-dessus des organisations pour ne pas les impacter, et intégrer les systèmes existants, en particulier les systèmes d’information en place. Donc les entreprises n’avaient pas à être modifiées. C’est d’ailleurs pour cela que nous avons eu un gros travail sur l’interopérabilité.
En quoi le travail d’interopérabilité a-t-il consisté ?
Frédérick Benaben : Il y avait deux enjeux sur l’interopérabilité. Le premier était de brancher des tuyaux d’information à des systèmes existants et de comprendre ce qui était collecté. Les formats de données entre les sous-traitants d’un même donneur d’ordre peuvent ne pas être les mêmes. Comment faire en sorte que l’entreprise comprenne et exploite les données du sous-traitant A fournies dans une langue et celles du sous-traitant B fournies dans une autre langue ? Nous avons donc dû proposer des schémas de réconciliation des données.
Le deuxième niveau concerne l’interprétation. Une fois que les données sont collectées et que tout le monde parle la même langue, ou tout du moins se comprend : comment établir des références communes ? Par exemple, faire en sorte que tout le monde parle en litres pour des quantités liquides, et pas en flacons ou en bouteilles. Ou encore : lorsqu’un sous-traitant annonce une potentielle rupture de stock, qu’est-ce qu’il entend ? Combien de temps en amont prévient-il ? Est-ce que tout le monde a la même définition ? C’est tout cela qu’il a fallu harmoniser.
À quoi ces résultats vont-ils servir ?
Jacques Lamothe : Le démonstrateur a été installé à l’Université de Valence en Espagne et devrait être réutilisé pour des projets de recherche. Pour notre part, les résultats ont ouvert de nouvelles pistes. Nous voulons aller plus loin qu’un outil qui sait détecter des problèmes à venir ou qui permettent d’informer les entreprises. L’une de nos idées est de travailler sur des solutions qui permettent de prendre des décisions plus ou moins automatisées d’adaptation de la chaîne logistique.
Frédérick Benaben : Une spin-off s’est montée au Portugal également. Elle utilise une partie des mécanismes d’intégration de données pour proposer des services aux PME. Et nous continuons de travailler avec Pierre Fabre également car leur retour a été très positif. Ils sont conscients que le démonstrateur a montré qu’il était possible de faire des choses qu’ils ne sont pas capables de faire aujourd’hui. Nous avons d’ailleurs déjà monté et soumis un projet de recherche partenariale avec eux.
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