Analyser l’évolution des pathologies cérébrales chez les jeunes enfants à l’aide d’outils mathématiques
L’imagerie par résonance magnétique (IRM) permet aux médecins d’obtenir des images précises de la structure, de l’anatomie et des pathologies qui touchent le cerveau de leurs patients. Mais, pour analyser et interpréter ces images complexes, les radiologues ont besoin d’outils mathématiques spécifiques. S’il en existe d’ores et déjà pour interpréter des images de cerveaux adultes, ces outils ne sont pas directement applicables à l’analyse d’images cérébrales d’enfants en bas âge, de nouveau-nés ou de prématurés. Le projet franco-brésilien STAP, dont Télécom ParisTech est partenaire, a pour objectif de combler ce manque en mettant au point des modélisations mathématiques et des algorithmes d’analyse d’IRM pour les plus jeunes patients.
Le cerveau d’un adulte et le cerveau en plein développement d’un nouveau-né sont différents. Chez ce dernier, la matière blanche n’est pas encore entièrement myélinisée et certaines structures anatomiques sont beaucoup plus petites. Ces spécificités font que les images obtenues en imagerie par résonance magnétique (IRM) ne seront pas les mêmes chez le nouveau-né et l’adulte. « Il existe également des difficultés au niveau de l’acquisition, qui doit être rapide. On ne peut pas imposer à un jeune enfant de rester longtemps immobile » ajoute Isabelle Bloch, chercheuse en modélisation mathématique et raisonnement spatial à Télécom ParisTech. « Les résolutions sont donc moindres, car les coupes sont plus épaisses. »
Ces images complexes nécessitent des outils pour être analysées et interprétées, afin d’aider les médecins dans leurs diagnostics et leurs décisions. « Pour le traitement d’images IRM de cerveaux adultes, beaucoup d’applications existent. Mais, en pédiatrie, il reste un réel manque à combler », constate la chercheuse. « C’est pour cela que, dans le cadre du projet STAP, nous travaillons à la conception d’outils de traitement et d’interprétation d’images pour les enfants en bas-âge, les nouveau-né et les prématurés. »
Financé par l’ANR et la FAPESP, le projet STAP a été lancé en janvier dernier, et se prolongera sur une durée de quatre ans. Il a pour partenaires l’université de São Paolo au Brésil, les services de radiologie pédiatrique de l’hôpital de São Paolo et de l’hôpital Bicêtre, ainsi que l’Université Paris Dauphine et Télécom ParisTech. « Il y a trois équipes de mathématiques appliquées et d’informatique qui travaillent sur ce projet, ainsi que deux équipes de radiologues. Trois équipes en France, deux au Brésil… C’est un projet à la fois international et pluridisciplinaire » souligne Isabelle Bloch.
Des données rares et hétérogènes
Afin de travailler à l’élaboration d’un outil mathématique d’analyse d’image, les chercheurs ont recueilli des IRM de jeunes enfants et de nouveau-nés auprès des services hospitaliers partenaires. « Il n’y a pas eu d’acquisition de données spécifiques pour ce projet », explique Isabelle Bloch « Nous utilisons des images dont les médecins disposaient déjà, et pour lesquelles les parents du patient ont donné leur accord afin qu’elles soient utilisées à des fins de recherche. » Qu’elles présentent une anatomie normale ou pathologique, toutes les images sont anonymisées. « Nous sommes très prudents : si un patient a une pathologie tellement rare que son identité pourrait être reconnue, nous n’utilisons pas l’image. »
Certaines pathologies et anomalies du développement intéressent spécifiquement les chercheurs : les zones hyperintenses, zones de matière blanche qui apparaissent plus claires que la normale sur les images IRM, les anomalies de développement du corps calleux, structure anatomique qui joint les deux hémisphères cérébraux, ainsi que sur les tumeurs cancéreuses.
« Nous faisons face à certaines difficultés en raison du peu d’images IRM de prématurés ou de nouveau-nés existantes», constate Isabelle Bloch. « Enfin, les images sont très variées en fonction de l’âge du patient et de sa pathologie. Nous avons donc un jeu de données limité, avec beaucoup de variations, et qui évoluent dans le temps. »
Modéliser les connaissances médicales
Si les images disponibles sont hétérogènes et en nombre limité, les chercheurs peuvent combler ce manque de données par l’expertise médicale des radiologues, qui se chargeront d’annoter les IRM utilisées. Ils disposeront alors de précieuses informations sur l’anatomie du cerveau et ses pathologies, tout comme sur l’histoire du patient. « Nous travaillerons à la modélisation sous forme de graphes des connaissances médicales, notamment celles de l’agencement spatial des structures. Nous serons aidés par l’expertise des radio-pédiatres participant au projet » explique Isabelle Bloch. « Ces graphes guideront l’interprétation des images afin de décrire la pathologie, et les structures environnantes : où est la pathologie ? Quelles sont les structures saines qu’elle peut impacter ? Quelle est son évolution ? »
Dans cette modélisation, chaque structure anatomique sera représentée par un nœud. Ces nœuds seront reliés par des arêtes, portant des attributs tels que les relations spatiales, ou les contrastes d’intensité, tels qu’ils apparaissent en IRM. Ce graphe prendra en compte les pathologies du patient, transformant les liens entre les différentes structures anatomiques. « Par exemple si, les connaissances nous disent qu’une structure donnée se tient à la droite d’une autre, l’idée sera d’obtenir un modèle mathématique qui nous dit ce que veut dire ‘’à droite de’’ » ajoute la chercheuse. « Ce modèle sera ensuite intégré dans un algorithme d’interprétation d’images, de reconnaissance de structures et de caractérisation de l’évolution d’une maladie. »
Après analyse des images d’un patient, le graphe constituera un modèle individuel, correspondant à ce patient en particulier. « Nous ne disposons pas encore d’assez de données pour établir un modèle type, prenant en compte toute la variabilité », constate la chercheuse. « Il serait intéressant d’appliquer cette méthode à des groupes de patients, mais ce serait à beaucoup plus long terme. »
Un algorithme qui décrit les images dans le langage du médecin
En plus de décrire spatialement et visuellement les structures cérébrales, le graphe prendra en compte l’évolution temporelle de la pathologie. « Certains patients sont suivis régulièrement. Le but serait d’être capable de comparer les images IRM qui s’échelonnent sur plusieurs mois de suivi, et de décrire de façon précise et quantitative l’évolution des pathologies cérébrales, ainsi que leur impact éventuel sur les structures normales », explique isabelle Bloch.
Enfin, les chercheurs souhaiteraient mettre au point un algorithme capable de fournir une description linguistique du contenu des images, avec le vocabulaire spécifique de la radiologie pédiatrique. Cet outil ferait ainsi le lien entre des informations numériques quantifiées, qui viennent des informations extraites des images, et des mots, des phrases. « Ce sera le chemin inverse de la modélisation mathématique des connaissances médicales », précise Isabelle Bloch. « Ainsi, l’algorithme décrirait la situation de manière quantitative et qualitative, afin de faciliter l’interprétation médicale par le médecin. »
« Sur l’aspect modélisation structurelle, nous savons où nous allons, bien qu’il y ait du travail sur l’extraction de caractéristiques à partir des IRM » affirme Isabelle Bloch sur les aspects techniques du projet. « Mais combiner une analyse spatiale avec une analyse temporelle, c’est une problématique nouvelle… Tout comme le retour de l’algorithme vers le langage du médecin, où l’on passe de mesures quantitatives à une description linguistique. » Loin d’être anecdotique, cette avancée technique pourrait, à terme, permettre aux radiologues de bénéficier de nouveaux outils d’analyse d’images, afin de mieux répondre à leurs besoins.
En savoir + sur les travaux d’Isabelle Bloch
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