Apprendre à faire face aux nuisances odorantes environnementales

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ECSPER à Smellville Nuisances odorantes environnementales

Qu’est-ce qu’une nuisance odorante environnementale ? Comment la caractériser et gérer les conséquences qu’elle induit ? C’est ce que le jeu sérieux « Les ECSPER à Smellville », intégré au MOOC Air Quality, enseignera aux étudiants. Développé au sein d’IMT Lille Douai, ce contenu pédagogique sera disponible dans le courant de l’année 2018. Confronté à l’apparition d’une nuisance odorante dans l’environnement, le joueur devra identifier la source et les composés responsables de l’odeur avant de stopper leur  émission, puis de statuer sur leur toxicité avant qu’une crise médiatique ne se déclenche.

 

En janvier 2013, près de Rouen, un incident sur un procédé de fabrication de produit à l’entreprise Lubrizol provoque une importante émanation de mercaptans, des composés gazeux particulièrement malodorants. L’odeur se propage dans toute la vallée de la Seine, jusqu’au bassin parisien, avant d’être perçue le lendemain jusqu’au sud de l’Angleterre ! Une crise d’ampleur se déclenche : les populations s’affolent et appellent en masse les services de secours locaux tandis que les médias s’emparent de l’affaire… Pourtant, malgré cette forte odeur, les doses relâchées dans l’atmosphère sont très loin du seuil de toxicité : cette émission de polluants gazeux a uniquement provoqué ce que l’on appelle une nuisance odorante environnementale.

« Il n’y a souvent aucun lien prédéfini entre nuisance odorante environnementale et toxicité… Lorsque nous sentons une odeur, nous avons tendance à la comparer à ce que nous connaissons de similaire… Dans le cas de Lubrizol, c’est une odeur de ‘’ gaz’’ qui a été sentie par la population, et assimilée à un danger potentiel. » explique Sabine Crunaire, chercheuse à IMT Lille Douai. « Pour la majorité des composants odorants, les seuils de détection olfactif par le nez humain sont beaucoup plus bas que les seuils de toxicité. Seuls quelques composés présentent un réel lien de cause à effet entre odeur et toxicité. D’où l’importance de savoir gérer ces situations à temps pour éviter qu’une crise médiatique ne se déclenche et que les populations s’affolent à tort. »

 

Un jeu éducatif pour apprendre à gérer les nuisances odorantes environnementales

Inspiré de l’incident Lubrizol, le jeu « Les ECSPER à Smellville », issu de la série de jeux sérieux  Etudes de Cas Scientifiques pour l’Expertise et la Recherche développée à IMT Lille Douai, est un dispositif numérique éducatif qui enseigne la gestion de ces situations délicates. Réalisé en complément du MOOC Air Quality, formation de niveau licence scientifique ouverte à tous, le jeu est élaboré autour d’un scénario où une nuisance odorante environnementale apparaît après un incident industriel : une forte odeur de gaz, assimilée à un danger par la population, crée une situation de crise.

L’apprenant a le choix entre deux rôles : Responsable Hygiène et Sécurité au sein de l’industrie à l’origine de l’incident, ou responsable d’une Association Agréée pour la Surveillance de la Qualité de l’Air (AASQA). « Pour les apprenants, l’objectif est d’assimiler les acteurs qui interviennent dans ce genre de situation, comme les services de sécurité ou les services préfectoraux et ministériels, et de savoir les alerter au bon moment avec les bons éléments. Le scénario est très réaliste, et correspond tout à fait à une vraie gestion de crise. » explique Sabine Crunaire, qui a participé à l’élaboration du contenu scientifique du jeu. « Le temps de jeu est limité, et l’action se déroule sur une seule journée de travail. Le but est d’éviter le stade de l’incident Lubrizol, qui a déclenché une avalanche de réactions à tous les étages : citoyens, réseaux sociaux, médias, services de l’état, associations… » Le but est donc de stopper le problème le plus vite possible, d’identifier les composés émis et d’évaluer les potentielles nuisances dans l’environnement immédiat et élargi. Dans le second scénario, le joueur doit également enquêter pour tenter de trouver la source de l’émission, notamment grâce à des témoignages obtenus auprès de jurys de nez…

Les jurys de nez sont des riverains formés à l’analyse olfactive. Ils qualifient les odeurs qu’ils perçoivent grâce à un langage commun, comme par exemple le Langage des Nez®, développé par Atmo Normandie. Sensibles aux odeurs habituelles de leur environnement, ces « nez » sont capables de discriminer les différents types de mauvaises odeurs auxquelles ils sont confrontés et de les décrire de manière consensuelle. Ils rapprochent alors l’odeur perçue d’un « référent odorant ». Cette information permettra d’orienter les analyses pour identifier les substances responsables de la nuisance. « Par exemple, une odeur dite « soufrée » correspond, selon le Langage des Nez, à des référents de type hydrogène sulfuré (H2S) mais aussi à l’éthyl-mercaptan ou propylmercaptan, des molécules olfactivement proches. » précise Sabine Crunaire. « Trois, quatre, cinq référents différents peuvent être identifiés par un seul nez, dans une seule odeur ! Si on connaît les profils olfactifs des industries d’une zone géographique donnée, il sera possible d’identifier celle qui a perturbé le paysage olfactif habituel. ».

 

Définir et caractériser les nuisances

Mais comment, à partir des « notes » qu’elle contient et de son intensité, une odeur peut être définie comme une nuisance ? « Par définition, la nuisance odorante environnementale est définie comme un état d’intolérance individuel ou collectif lié à une odeur. » explique Sabine Crunaire. La caractérisation d’une odeur en nuisance dépend alors de trois critères : tout d’abord, la qualité de l’odeur et le message qu’elle renvoie. Est-elle associée par la population à un composé toxique, dangereux ? Par exemple, une odeur de gaz d’échappement aura une connotation négative, et sera donc plus susceptible d’être considérée comme une nuisance odorante environnementale. Deuxièmement, le contexte social dans lequel apparaît l’odeur joue : une odeur agricole dans un milieu rural sera considérée comme moins gênante par la population qu’en plein Paris…  Enfin, la durée, la fréquence et le moment de l’apparition de l’odeur peuvent jouer sur son impact négatif. « Même une odeur de chocolat peut être mal perçue ! Si elle apparaît le matin, de temps à autre, c’est plutôt agréable, mais si c’est une odeur soutenue qui dure toute la journée, cela peut devenir problématique ! » souligne Sabine Crunaire.

Du point de vue de la réglementation, les arrêtés préfectoraux et municipaux peuvent obliger les industriels à ne pas provoquer de nuisances olfactives excessives qui incommoderaient la population avoisinante. Les seuils à ne pas dépasser sont qualifiés en concentration d’odeur et exprimés en termes d’unités d’odeur européenne (uoE.m-3). La concentration d’odeur d’un mélange odorant est définie conventionnellement comme étant le facteur de dilution qu’il faut appliquer à un effluent pour qu’il ne soit plus ressenti comme odorant par la moitié d’un échantillon de population : on parle alors de seuil de détection.  « Pour les industriels, les arrêtés préfectoraux demandent généralement de s’assurer que la concentration d’odeur, dans un rayon de quelques kilomètres par rapport aux limites de propriétés de l’industrie, ne dépasse pas 5 uoE.m-3 » explique Sabine Crunaire. « Il leur est très difficile de prévoir si les odeurs dégagées dépasseront cette limite. La nature des composés émis, leur concentration, la sensibilité des personnes environnantes… Beaucoup de paramètres sont à prendre en compte ! Et aucune réglementation ne fixe précisément une limite de concentration des composés odorants dans l’air, comme c’est le cas par exemple pour les particules fines. »

Pour éviter les sanctions, les industriels réalisent des prélèvements des composés odorants à la source et procèdent à leurs dilutions grâce à des olfactomètres, afin de déterminer le facteur de dilution à partir duquel l’unité d’odeur paraît acceptable. C’est à partir de cette valeur et de cette modélisation que les industriels cherchent à évaluer l’impact de leurs émissions odorantes dans un périmètre prédéfini, mais aussi de dimensionner les systèmes d’abattement à installer.

« Au-delà des sanctions, les conséquences d’une crise due à une nuisance environnementale sont destructrices pour l’image d’un industriel : tous les médias font encore référence à l’incident « Lubrizol », du nom de l’entreprise incriminée…  » souligne Sabine Crunaire. « Et ces conséquences médiatiques entraînent probablement des conséquences économiques directes et indirectes non négligeables pour l’industrie : diminution des commandes, coûts des nouvelles mesures de sécurité imposées par l’État pour éviter que le problème ne se reproduise…. »

Le jeu « Les ECSPER à Smellville » permettra ainsi de sensibiliser les étudiants à ces problématiques et de les former à la gestion de ce type de crise, évitant des conséquences graves. En effet, si les nuisances odorantes environnementales sont rarement toxiques, elles sont toujours nuisibles, tant pour les citoyens que pour les industriels.

 

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