La blockchain est-elle la technologie de confiance ultime ?
Cet article fait partie de notre dossier consacré à la confiance, publié à l’occasion de la sortie du cahier de veille de la Fondation Mines-Télécom : « Les nouveaux équilibres de la confiance : entre algorithmes et contrat social ».
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De par sa nature décentralisée, la technologie blockchain nourrit les espoirs de forger une confiance robuste entre les acteurs économiques. Mais bien qu’elle présente des atouts uniques, elle n’est pas non plus parfaite. Comme pour toute technologie, le facteur humain est à prendre en compte. À lui seul, il justifie de considérer avec précautions le plébiscite formulé à l’égard de la blockchain, et de rester vigilant sur les arbitrages effectués par les communautés de décideurs.
« La blockchain est un outil de défiance envers les gouvernements. » Pour Patrick Waelbroeck, économiste à Télécom ParisTech, ce n’est pas un hasard si cette technologie est apparue en 2008. En plein contexte de crise financière mondiale, la sortie de la première blockchain Bitcoin témoigne de la perte de confiance des citoyens dans un système de gestion monétaire étatique. Il faut dire que la dernière décennie a été particulièrement éprouvante pour les organisations financières centralisées, au sein desquelles les transactions sont contrôlées par des institutions. En Grèce, des habitants limités à des retraits journaliers de quelques dizaines d’euros. En Inde, le troc préféré à une monnaie trop incertaine.
Face à ces risques, le recours aux blockchains apparaît alors comme une alternative de plus grande confiance. En se basant sur une architecture décentralisée, elles garantissent a priori plus de sécurité et de transparence (lire notre article Quèsaco la blockchain ?). En outre, les blockchains générant des crypto-monnaies offrent des solutions parallèles pour des transactions financières. « Friedman et Hayek, tout deux prix Nobel d’économie, étaient favorables à de telles monnaies alternatives, car elles sont le seul moyen d’éviter que les gouvernements ne financent leurs dettes par l’inflation » pointe Patrick Waelbroeck. En cas d’inflation, c’est à dire de perte de valeur de la monnaie étatique, les citoyens se tourneraient en effet vers des monnaies alternatives.
En plus d’avoir cet aspect de garde-fou, la technologie blockchain évite, de par sa nature, les falsifications ou les vols. Elle apparaît donc naturellement comme une solution pour restaurer la confiance entre les acteurs économiques, et résoudre l’un des problèmes majeurs qui se pose actuellement sur les marchés : l’asymétrie d’information. « Nous sommes dans l’ère de la société ‘boite noire’, où les informations sont difficiles d’accès » constate Patrick Waelbroeck. « La visibilité sur la réalité des marchés est perdue. Nous en avons l’exemple avec l’économie numérique : les utilisateurs ne savent pas ce qui est fait de leurs données personnelles. » Une enquête de la chaire Valeurs et politiques des informations personnelles menée avec Médiamétrie montre notamment une augmentation de la défiance des internautes. « Le risque, c’est que les consommateurs se désengagent de ces marchés, ce qui conduirait à la disparition de ces derniers » problématise l’économiste.
Cerise sur le gâteau, les blockchains publiques les plus utilisées, comme Ethereum ou Bitcoin, s’accompagnent de ce que les économistes appellent une externalité de réseau positive. C’est à dire que plus une blockchain compte d’utilisateurs, plus elle est robuste. La montée en échelle permet alors une meilleure sécurité, et donc une plus grande confiance des usagers envers la technologie.
L’humain derrière la blockchain
Les espoirs mis dans la blockchain sont donc nombreux, et à juste titre. Mais ils ne doivent pas faire oublier que comme toute technologie, elle est avant tout mise au point et régie par des humains. Un point-clé dans la compréhension des limites de la technologie, et un motif de vigilance à garder en tête. Les blockchains privées ont l’avantage de permettre plusieurs dizaines de milliers de transaction à la seconde, car elles ne sont pas aussi strictes que les grosses blockchains publiques comme Bitcoin sur la vérification de chaque transaction. Mais elles sont gérées par des consortiums, qui définissent les règles, souvent en petit comité. « Ces groupes d’humains peuvent, du jour au lendemain, décider de changer les règles » avertit Patrick Waelbroeck. « Donc la question est de savoir si les gens peuvent s’engager de manière crédible sur des règles de gouvernance. »
Les blockchains publiques ne sont pas non plus dénuées de défauts inhérents au caractère humain de ses utilisateurs. Ethereum connaît un succès grandissant grâce aux « smart-contracts » qu’elle permet d’ancrer dans sa blockchain en les faisant certifier par le réseau d’utilisateur. Dernièrement, un cas d’abus d’un smart-contract a été enregistré, permettant à un hackeur d’exploiter les failles d’un contrat pour recevoir l’équivalent de plusieurs dizaines de milliers d’euros. L’architecture de la blockchain n’est pas en cause : c’est bien une faille dans la rédaction du contrat par un humain qui a permis cet usage malveillant.
Les utilisateurs d’Ethereum voient dans les smart-contracts la possibilité de normer les utilisations de cette blockchain, en y incluant par exemple des contraintes éthiques. « L’idée étant que si un smart-contract est utilisé pour une activité illégale, on puisse bloquer le paiement » synthétise Patrick Waelbroeck. Mais de nombreuses questions émergent de cette perspective. D’abord, comment algorithmiser l’éthique ? Comment la définir et faut-il la figer dans un code ? Dans la mesure où nous n’avons pas tous les mêmes visions sociétales, comment parvenir à un consensus ? Il apparaît que la méthode même de définition des règles éthiques suscite déjà des débats. Sans compter que définir des règles éthiques implique alors de rendre la technologie accessible à certaines personnes et non à d’autres. Sur un plan éthique, est-il envisageable de discriminer l’accès à cette technologie selon les valeurs défendues par l’utilisateur ?
Confiance et punition
Le fonctionnement des grosses blockchains publiques, simple en apparence, repose ainsi sur des facteurs humains complexes. « Petit à petit, les communautés se rendent compte que malgré la décentralisation, elles ont besoin de tiers de confiance humains, appelés ‘oracles’ » témoigne le chercheur. Les oracles représentent un type d’acteur supplémentaire dans l’organisation de la blockchain, ce qui augmente la complexité de la structure. Leur rôle n’est d’ailleurs pas le seul à avoir vu le jour par nécessité. La difficulté d’accès à la technologie pour des novices entraîne la création d’intermédiaires. Des guichetiers apparaissent afin de faciliter l’accès des néophytes et de leurs ressources aux différents registres.
L’émergence de ces nouveaux rôles montre à quel point l’humain est un impondérable dans le développement des blockchains, qu’importe leur robustesse ou leur taille. Or plus les rôles sont nombreux, plus la confiance dans le système devient fragile. « Pour qu’une technologie soit juste et équitable, il faut que chacun remplisse son rôle et fasse ce qu’il est supposé faire » souligne Patrick Waelbroeck. « Dans un système centralisé, c’est le chef qui assure que tout se passe bien. Mais dans un système technologique décentralisé, il faut que la technologie elle-même garantisse ces aspects, et dispose d’une dimension punitive si les tâches ne sont pas assurées correctement. »
Sur le plan légal, les blockchains privées peuvent être régulées, car les responsables sont identifiables. Un système punitif pour assurer que les usagers ne sont pas abusés est donc envisageable. En revanche, le problème est tout autre pour les blockchains publiques. « De par leur caractère international, la responsabilité de ces blockchains est floue » pointe l’économiste. Et sans responsabilité établie, quelles assurances les utilisateurs peuvent-ils avoir sur les décisions stratégiques prises par les fondations en charge de ces blockchains ? Loin des mythes et des espoirs candides, la question de la confiance est donc loin d’être réglée au sujet de la blockchain. Mais il est certain qu’à l’avenir, la question agitera de nombreux débats aux différentes échelles gouvernementales pour tenter de mieux encadrer cette technologie.
À quoi sert la blockchain ? Deux exemples de start-up qui apportent une réponse :
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