Roisin Owens : « hat trick » sur les bourses ERC
En décembre, Roisin Owens a décroché une bourse Consolidator grant du Conseil européen de la recherche (ERC). Après une bourse Starting grant obtenue en 2011 et une bourse Proof of concept en 2014 attribuées par le même organisme, il s’agit donc de la troisième fois que l’ERC récompense la qualité des projets de cette chercheuse de Mines Saint-Étienne. Plus qu’une source de financement, c’est aussi et surtout une prestigieuse reconnaissance par les pairs, puisque seuls 300 chercheurs européens environ se voient accorder une bourse Consolidator grant chaque année[1]. Afin de comprendre ce que cette nouvelle bourse ERC représente pour Roisin Owens et pour ses travaux en bioélectronique, nous sommes allés à sa rencontre.
Qu’est ce que cela vous fait d’être lauréate d’une bourse Consolidator grant de l’ERC ?
Roisin Owens : Ça me donne beaucoup plus confiance en moi. Lorsque j’avais eu la bourse Starting grant en 2011, je pensais avoir été chanceuse, je me disais que j’avais été au bon endroit au bon moment. Maintenant je ne pense plus que c’est de la chance, mais qu’il y a une vraie valeur dans mes travaux. Sur les 13 chercheurs qui ont examiné ma proposition de projet pour la Consolidator, 12 m’ont classé en « outstanding » ou « very good » [« exceptionnel » ou « très bon »]. Je savais que l’idée était bonne, j’étais fière de ma proposition, mais je savais aussi que c’était très compétitif : il y a des scientifiques de très haut niveau qui demandent cette bourse !
Par rapport à la première bourse que vous avez obtenue — la Starting grant — qu’est-ce que la Consolidator vous apporte en plus ?
RO : La Consolidator apporte une plus grande reconnaissance. La Starting récompense un potentiel futur et soutient un jeune chercheur : il est possible d’en avoir une avec une bonne idée, une bonne thèse et quelques publications. Pour la Consolidator, il faut déjà avoir dix publications de recherches menées comme post-doctorant ou en tant que chef de projet. Elle est réservée à des chercheurs qui ont déjà une bonne crédibilité scientifique, à qui l’ERC donne de l’argent pour consolider une position de mi-carrière.
Comment vos recherches se sont-elles structurées au fil des bourses ?
RO : La Starting grant m’a permis de démarrer mes travaux en bioélectronique. Comme je suis biologiste à la base, je voulais développer tout un tas de technologies pour mesurer la biologie de façon non invasive grâce à des polymères conducteurs. C’est ce que j’ai fait dans le projet Ionosense. Avec la Consolidator, je veux aller plus en profondeur. Maintenant que les technos sont au point, je vais tenter de répondre à des questions qui n’ont pas encore été posées parce que les chercheurs n’avaient pas à disposition ces technologies pour le faire.
Pour en savoir + sur les travaux scientifiques de Roisin Owens, lire notre Carnet de labo : Quand la biologie rencontre l’électronique
Qu’est-ce que ces technologies que vous développez apportent aux chercheurs ?
RO : Lorsque les chercheurs travaillent sur le cancer ou sur les effets des microbes sur notre système, ils passent par des expériences sur des animaux. Cela prend du temps et coûte cher. En plus, la souris n’est pas forcément un bon modèle de l’organisme humain. Mon idée c’est de modéliser in vitro des systèmes biologiques qui ressemblent le plus possible à la physiologie humaine. Pour y arriver, je mime le corps humain avec des systèmes complexes de microfluidique en 3D, qui reconstituent les circulations de fluides dans les organes, et ensuite j’y intègre des dispositifs électroniques pour mesurer différents effets sur ce système. Pour moi, c’est un moyen d’adapter la technologie à la réalité de la biologie. Actuellement, c’est plutôt l’inverse qui est fait dans les laboratoires : on force la biologie à s’adapter à l’équipement.
Pensez-vous que vous en seriez à ce stade de vos recherches si vous n’aviez pas eu vos bourses ERC ?
RO : C’est clair que non. Déjà la Starting grant m’a ouvert des portes. Elle m’a permis d’être prise plus au sérieux et de développer des partenariats. Lorsque je l’ai eue, j’ai pu embaucher une post-doctorante qui venait de Stanford, une université dans le top du top. Je ne suis pas certaine que j’aurais pu la faire venir sans la première bourse. Les bourses ERC sont les seules en Europe qui donnent une telle indépendance. Ce sont des financements de 1 à 2 millions d’euros pour cinq ans. Ca permet de ne pas passer son temps à chercher des fonds et de se concentrer vraiment sur notre recherche. L’alternative c’est de passer par un financement national, comme ceux de l’Agence nationale de la recherche, mais ce n’est pas le même ordre de grandeur : ils donnent environ 400 000 euros par projet.
Entre la Starting grant et la Consolidator grant, vous avez reçu une bourse Proof of concept de l’ERC. À quoi vous a-t-elle servi ?
RO : C’est une petite bourse comparée aux autres : 150 000 euros sur un an. Elle est réservée à un chercheur qui a déjà une bourse ERC. Comme son nom l’indique, elle permet de faire une preuve de concept : si une des technologies développées durant les travaux de la première bourse est potentiellement commercialisable, l’ERC donne un peu d’argent supplémentaire grâce à cette bourse Proof of concept pour explorer la possibilité de créer un business. Dans notre projet Ionosense, une partie était potentiellement commercialisable. La POC [Proof of concept], nous a permis de faire du prototypage. Nous avons un brevet sur la techno développée destinée à faire des tests de toxicologie in vitro, et nous sommes en négociations avec une entreprise pour la valoriser. Pour moi c’est très important de trouver des applications à mes recherches qui servent aux gens, puisque ce sont les citoyens de l’Europe qui me financent en payant leurs impôts.
Justement, sur un aspect très concret, à quoi servent les financements reçus ?
RO : Principalement à monter une équipe. Nous menons un travail multidisciplinaire : il nous faut beaucoup de connaissances différentes. J’ai une large expérience en biologie, et je commence à en avoir une bonne en électronique, mais je ne peux pas tout connaître. Pour m’aider, je dois embaucher des jeunes qui sont à fond sur les sujets importants de mon projet : en microfluidique, en chimie analytique, en modélisation 3D de la biologie cellulaire… Comme je les recrute au stade de post-doctorant, ils sont à l’état de l’art sur leurs sujets, ils connaissent les dernières technologies et ils m’apportent ainsi des connaissances importantes. C’est aussi très important pour moi d’embaucher des jeunes et de les former, afin d’éviter le brain drain [l’exode des cerveaux] vers l’étranger.
Tout chercheur qui remporte une ERC mène des travaux de qualité. Avec trois bourses ERC reçues sur trois demandées, il y a quelque chose en plus de la qualité. Quel est votre secret ?
RO : Déjà je suis anglophone d’origine. Je suis née en Irlande, le gaélique est ma langue maternelle, mais j’ai été bilingue anglaise très rapidement. C’est un gros avantage dans la rédaction des propositions de projet. Ensuite j’aime prendre le temps de mûrir mes idées. Les projets que je soumets ne sont pas rédigés en quelques semaines avant la deadline des appels de l’ERC. Je prends le temps de les réfléchir. Je dois également remercier le Cancéropôle PACA qui a détaché pour moi un conseiller sur le montage de projets. Et puis j’ai une arme secrète : mes deux sœurs. Une est éditrice pour Nature, l’autre fait de la communication pour les musées. À chaque fois que je monte un dossier, je leur envoie pour qu’elles m’aident à l’affiner !
[1] En 2016, 314 chercheurs (dont Roisin Owens) ont reçu une bourse Consolidator grant sur 2 274 projets évalués par l’ERC, soit 13,8 % de réussite. L’année d’avant, en 2015, 302 en recevaient une pour 2 023 demandes (14,0 % de réussite). Source : Statistiques de l’ERC.
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