Santé : les nouvelles pratiques sont le miroir de nos sociétés
Comment les nouvelles technologies influencent-elles la façon dont nos sociétés perçoivent et se représentent la santé ? Et quelles conséquences ces représentations ont elles sur le développement des nouvelles pratiques médicales ? C’est à ces questions que tentera de répondre le colloque « La santé en chair et en nombres » soutenu par l’Institut Mines-Télécom (IMT), et qui se déroulera à la Sorbonne du 20 au 21 mai 2016. Gérard Dubey, socio-anthropologue à Télécom École de management et membre du comité scientifique de l’événement, aborde avec nous quelques unes des réflexions qui guideront les discussions du colloque.
Au-delà de la santé à travers le prisme des nouvelles technologies, quelle est la spécificité du colloque « La santé en chair et en nombres » ?
Gérard Dubey : Des colloques sur les nouvelles technologies en santé, il y en existe des dizaines. Mais ils rassemblent très rarement des acteurs d’horizons divers. Pour celui-ci, nous avons voulu réunir tous les points de vue sur le sujet, dans un espace aussi neutre que possible, et en même temps symbolique : la Sorbonne. Ce colloque sera donc une rencontre pluridisciplinaire avec des spécialistes de différents domaines en lien avec la santé : historiens, roboticiens, sociologues, médecins, ingénieurs, philosophes, économistes, industriels… des gens qui n’ont donc pas forcément l’occasion de croiser leurs regards et d’échanger librement leurs expériences.
Au-delà de l’approche, c’est aussi le sujet de l’événement lui-même qui est atypique ?
GD : Nous pensons que les nouvelles pratiques qui se développent en santé racontent quelque chose sur les représentations sociales de ce domaine. Ne serait-ce que la façon dont elles sont conçues dit quelque chose de précis, de concret, qui matérialise ces représentations. Cette réflexion sera très présente dans le colloque, et se manifestera d’ailleurs dès la première session lorsque nous aborderons le sujet de l’e-santé. Et il y aura également une forte dimension épistémologique, puisque nous allons interroger la manière dont les nouvelles technologies modifient la frontière entre la représentation de la vie humaine — ce que les grecs appelaient le bios — et les fonctions vitales —qui renvoie à ce qu’ils désignaient par zôè.
Vous abordez là le sujet de la réflexivité : non seulement les pratiques émergentes influencent les imaginaires, mais ces représentations auraient également un impact sur le développement des nouvelles technologies en santé ?
GD : Oui bien sûr. Nous ne sommes pas du tout dans une optique déterministe — au sens du déterminisme technologique. C’est à dire que nous ne considérons pas chaque innovation sociale comme la conséquence d’une innovation technologique. En réalité c’est beaucoup plus complexe que cela. Les technologies sont aussi révélatrices des représentations sociales qu’elles incarnent, et qu’elles modifient aussi en retour. Avec des représentations et des pratiques multiples. Il n’y a pas un seul paradigme du numérique, une seule technologie, il y en a en réalité plusieurs, qui révèlent parfois des attentes contradictoires d’ailleurs.
Contradictoires dans quel sens ?
GD : Il y a une forte attente d’émancipation des sociétés au travers d’une appropriation des savoirs. Il s’agit d’une volonté de démocratiser les connaissances, y compris en santé. Et en même temps les technologies numériques qui permettent cela reposent sur des dispositifs impersonnels, qui vont plutôt dans le sens d’une industrialisation et d’une captation par quelques acteurs comme les GAFA (ndlr : Google, Amazon, Facebook, Apple).
Cette tendance à la concentration des technologies de santé dans les mains de quelques acteurs pourrait-elle être qualifiée de représentation majoritaire ?
GD : Il est clair que l’accent est mis aujourd’hui sur des process industriels dans un souci de création de valeur qui écrase le développement des nouvelles technologies. La société a des attentes vis-à-vis de l’institution médicale pour que la personne soit prise en compte en tant que sujet, et cela peut entrer en conflit avec la vision industrielle, qui repose encore sur la production de standards et vise toujours la grande échelle. Ce sont ces tensions que nous allons interroger comme révélatrices des changements à venir.
Les interactions hommes-machines prennent donc une dimension particulière en santé…
GD : J’ai travaillé en tant que socio-anthropologue sur la conception d’une plateforme robotisée, et plus particulièrement sur les représentations des concepts auprès des utilisateurs finaux. C’est vrai qu’il y a une réelle difficulté pour trouver des espaces communs de dialogue. La mise à distance du corps est complètement modifiée par la robotisation de la chirurgie par exemple : il n’y a plus de partage du sensible entre le praticien et son patient. La question se pose donc de savoir comment de nouvelles pratiques se mettent en place pour prendre en charge cette distanciation et en limiter les effets délétères ou indésirables.
Comment travailler sur des représentations durables des nouvelles pratiques alors même que le secteur des nouvelles technologies semble en perpétuelle ébullition ?
GD : Cette idée d’une révolution constante tient plus du marketing que d’une réalité. Les problématiques qui apparaissent au détour de ces usages ne sont pas si nouvelles que nous pourrions le penser. Elles se déplacent, elles se métamorphosent, mais elles restent les mêmes. J’ai abordé la question du numérique pour la première fois il y a 25 ans, en travaillant sur le rapport homme-machine dans l’aéronautique. Et les problématiques qui apparaissaient à l’époque ne sont pas si différentes de celles qui se posent à la société aujourd’hui.
En savoir + sur le colloque « La santé en chair et en nombres »
En savoir + sur la relation homme-machine avec Gérard Dubey
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« La santé en chair et en nombres » : 5 tables rondes pour bien comprendre les mutations en cours en santé
Trois sessions rassemblant au total cinq tables rondes permettront de présenter au public les enjeux et défis de la transformation du domaine de la santé. Les intervenants croiseront leurs regards et apporteront leurs expériences propres. Seront ainsi représentés le CNRS, Altran, l’Inserm, l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, l’université technologique de Compiègne, etc.
Vendredi 20 mai
10h – 12h30
Introduction : Pour une anthropologie des technologies en santé
14h30 – 16h
Table ronde 1 : La connaissance et les savoirs mobilisés : quel type de savoir pour quel usage ?
16h30 – 18h
Table ronde 2 : Voir, toucher, agir : les nouvelles investigations du corps
Samedi 21 mai
9h30 – 11h
Table ronde 3 : La valeur de l’usage, ou comment l’usage entre-t-il dans le champ de la valeur ?
11h30 – 13h
Table ronde 4 : Vers un nouvel écosystème : au bénéfice de qui et de quoi ?
14h30 – 16h30
Table ronde 5 : Technologies haut-débit : pour quelle personnalisation de la médecine ?
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